Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Bouyoucas, Pan

Anna pourquoi. Éd. Les Allusifs, 2003, 109 p.

e Sacré et le Profane

Du sommet du mont Apitiki, une forteresse centenaire surplombe l'île grecque de Leros. Nicoletta, une nonne de 50 ans, y vit seule depuis quatre ans en qualité de responsable de la chapelle, qui abrite une icône miraculeuse entourée d'ex-voto. Afin de la soutenir contre le silence, la solitude et le vertige afférent à ce lieu perché entre ciel et mer, l'archevêque a désigné dans cette fonction sœur Veroniki, une jeune novice d'une très grande beauté. Pourtant, la religieuse quinquagénaire avait acquis, comme ancienne missionnaire en Afrique, une carapace assez forte pour la protéger de tout découragement fatal. Elle se prend plutôt pour Dieu " à vivre ainsi au bord du vide, à regarder les mouettes planer librement en savourant la volupté de l'abandon, [...] à toujours regarder l'humanité de haut ".

Son expérience lui avait surtout appris à distinguer la réalité de l'illusion. Nicoletta n'est pas dupe des prétendus miracles de la Vierge de l'icône. C'est plutôt une femme d'action qui sait que l'amour de Dieu passe par l'amour du prochain. Afin de ne pas voir un fossé se creuser entre elle et le monde, elle a même demandé au cabaretier de l'endroit de lui garder les revues qu'il réserve à sa clientèle afin d'y lire les chroniques sur le cinéma qui, semble-t-il, lui offre un portrait valable de notre humanité. Sa vocation ne l'a pas détournée de ses semblables pour lesquels elle est même prête à combler les besoins charnels. Contrairement à son aînée, Veroniki veut se consacrer à Dieu avec la ferveur qui caractérise les jeunes remplis d'idéal. Le démon l'attendra au tournant en empruntant le corps d'un diacre venu dans son nid d'aigle sous le prétexte de restaurer les icônes de la chapelle. Il veut retrouver l'amour d'Anna, le prénom de baptême de la jeune novice. Pourquoi l'a-t-elle abandonnée pour se consacrer à Dieu? Sa déception lui inspirera un graffiti qu'il écrira sur les parois rocheuses de la montagne. Son " Anna pourquoi " que toute la population de Platanos peut lire traumatise tous les mâles dont la douce moitié porte ce prénom.

Ce court roman s'inscrit dans le créneau du sacré et du profane. Existe-t-il une frontière infranchissable entre les deux mondes? Pan Bouyoucas tente de réconcilier la vie terrestre et le royaume des cieux. Il rappelle aux doctrinaires que " l'histoire sainte n'est pas qu'une célébration du martyre et de la mort ". Même " la nature ne porte jamais le deuil. Les malheurs et les désastres ont beau se succéder, les saisons, les fleurs et les fruits persistent à célébrer, avec leurs couleurs et leurs parfums, la vie et ses résurrections. " L'auteur prône en somme la sagesse du paganisme qui s'est donné une mythologie remplie de dieux pour protéger la vie des humains sur terre. C'est bien différent du Dieu dont les fondamentalistes implorent la vengeance.

En somme, cette leçon de théologie plonge au cœur des enjeux humains tels que l'amour, la vie et la mort. C'est très pédagogique : la théorie est illustrée d'exemples frappants. Par contre, l'écriture parfois lourde peut gâter le plaisir du lecteur, sans compter l'épilogue qui relève davantage de l'art du résumé que de la narration. Nonobstant ces faiblesses, c'est un roman intéressant qui encourage les " élans de l'âme " aux dépens des esprits apolliniens.