Paul-André Proulx


Littérature Québecoises

Samson, Pierre.

Arabesques.
Éd. Les Herbes rouges, 2010, 510 p. ISBN 9782894192931

Les Résidants du quartier Hochelaga

L'arrondissement d'Hochelaga à Montréal est en train de supplanter le Plateau Mont-Royal dans l'imaginaire des scénaristes. Hochelaga de Michel Jetté et Ring d'Anaïs Barbeau-Lavalette y ont été tournés. Les romanciers ne sont pas en reste. Yves Beauchemin y a planté son décor pour Charles le téméraire ainsi que Michel David avec Chère Laurette et Michel Legault avec Hochelaga, mon amour.

Pierre Samson leur a emboité le pas avec Arabesques, un roman qui s'attache amoureusement aux résidants des appartements d'un immeuble menacé par les spéculateurs fonciers. Ces derniers s'apprêtent à défigurer le quadrilatère adossé au pont Jacques-Cartier et au port de Montréal. Les protagonistes font preuve d'une résilience qui n'en cache pas moins leur déception de voir s'emmener les séides du pic de la démolition. Ils ont déjà fait raser le couvent des religieuses. Les immeubles domiciliaires en bordure d'une future autoroute, dont la construction les enrichira d'autant, sont les prochains à connaître la ruine commandée par le soi-disant développement du transport à Montréal.

Pierre Samson, issu de ce milieu, compatit avec ses concitoyens, appelés à être transbahutés vers des landes, où s'effritera l'identité qu'ils ont chèrement acquise. Ils se sont tressé au cours des ans des torons serrés, affermis par les différentes crises qu'ils ont traversées. Soumis aux rudes épreuves du krach des années 1930 et de la Deuxième Guerre mondiale, ils ont survécu grâce à leur esprit grégaire. Indépendamment de l'origine de chacun, la solidarité les a soudés. Ne se joint pas à ce corps social qui veut. Il faut prouver sa bonne foi pour intégrer la meute, qui malgré les divergences des individus qui la composent, ne laisse rien au hasard. Bref, ce microcosme s'entrechoque et s'entraide sous la férule du curé Bourbonnière, plutôt porté vers la bonbonnière si l'on se fie à sa proéminence abdominale.

La trame s'enroule autour de l'escalier qui mène à l'étage de l'immeuble. Chaque chapitre, sans ordre préétabli, livre des fragments révélateurs d'une vie qui bat, des réservoirs à mélasse au défunt restaurant Sélect, aujourd'hui occupé par l'UQUÀM. Les enseignes clignotent à leur amour pour Montréal. Amour aussi de l'ailleurs, où l'on se rend l'instant d'un voyage au Brésil ou en Inde. Mais avant tout, ce qui prime c'est une attention altruiste qui ne fuit pas les ambiances sensuelles. L'auteur les accentue même par les formes qu'il emprunte au monde de l'architecture baroque. Les personnages baignent dans un univers suggestif tant l'espace est empreint de féminité par les entrelacs, les passements, les lambrequins, les festons, les franges, les rinceaux, et les volutes qui s'entrecoisent sous leurs yeux. Si la synesthésie poussait Rimbaud à accrocher une couleur à ce qu'il vivait, Pierre Samson, quant à lui, saisit les formes qui traduiraient les sentiments de ses personnages. Des personnages dont le parcours rappellerait les taraudages vermiculaires des lombrics.

À l'instar des enluminures des livres anciens, le roman tient du travail monacal. C'est tout dire de l'amour que l'auteur porte aux siens.