Paul-André Proulx

Littérature Québecoises



Michaud, Andrée-A.

A. Rivière Tremblante. Éd. Québec Amérique, 2011, 361 p.

Les Enfants disparus

Chaque année, des enfants disparaissent. Qu’on se rappelle de Sébastien Métivier disparu en 1984, de Cédrika Provencher, et plus récemment, d’Adam Benhamama, sans compter Nicolas Pineault retrouvé noyé l’année dernière dans la rivière Nicolet à la hauteur de Sainte-Clothilde. Le drame que vivent leurs parents est indicible. C’est à eux qu’Andrée A Michaud a pensé en écrivant ce roman, une œuvre, dont la structure audacieuse, révèle son immense talent.

La disparition de trois enfants en compose la trame comme un triptyque, qui imbrique ses volets dans un ensemble très unifié. À Rivière-aux-Trembles, Marnie a perdu Michael son ami d’enfance par un soir d’orage. Et on a retrouvé, dans la rivière qui coule non loin du village, le corps de Mike Faber, un adolescent tandis que Billie, la fille de Bill et de Lucy-Ann, s’est fait enlever dans un endroit inconnu du lecteur.

Ces drames ne sont pas survenus simultanément. L’auteure a joué avec le temps pour emmener les survivants de la fatalité au même point géographique. La mère de Billie se suicide de chagrin, et le père vient s’installer à Rivière-aux-Trembles pour reconstruire sa vie alors que Marnie, qui avait vécu à New York après son aventure funeste, revient dans son village natal 29 ans plus tard. La coïncidence n’est pas anodine. Mike Faber disparaît sur l’entrefaite. Il n’en fallait pas plus pour que s’engage une enquête policière, qui lorgne du côté des deux nouveaux résidants du village.

C’est sur ce canevas que l’auteure a peint un psychodrame policier. Un psychodrame qui investit l’âme de Marnie et de Bill, deux êtres malheureux, stigmatisés par la disparition d’un être cher. Leur deuil heurte la culpabilité. On se ronge les sangs au point de se grafigner les sens en ressassant sans répit les circonstances des événements. Dans les plis de leur mémoire, pensent-ils, se cachent peut-être une once de responsabilité. Ils entretiennent ainsi une affection en créant des fantômes, qui suspendent le temps à l’heure de la tragédie. Incapables de se libérer, ils frisent la folie que la population soutient en portant sur eux un regard suspicieux.

L’auteure s’est consacrée à plein à cette analyse d’êtres devenus autodestructeurs pour avoir côtoyé la mort. Son investigation s’effectue à travers l’imaginaire des personnages. C’est la rencontre de tout un univers féerique qui les soutient dans les épreuves. Un univers magique incarné dans une nature, qui se montre « malfaisante », comme l’écrivait Jean Rostand, mais que l’on aime malgré tout. Il reste aux personnages de s’y enraciner ou de lui tourner le dos. C’est le dilemme du dénouement.

L’écriture, tout en propositions relatives, pose habilement les tenants et les aboutissants de ces drames que l’auteure illustre de références culturelles. Et le pire drame, c’est de survivre au malheur. Bref, ce magnifique roman traite la thématique avec beaucoup plus de pertinence que Les sept jours du talion de Patrick Senécal.