Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Lebœuf, Gaétan.

Bébé et bien d'autres qui s'évadent. Éd. Triptyque, 2007, 276 p.

Une grossesse particulière
Qui trop embrasse, mal étreint. Gaétan Lebœuf s'est donné corps et âme à l'écriture de cette œuvre, sans se méfier de son imagination débordante. Il en est résulté un cocktail à saveur indéfinissable. Quand même, cet embrouillamini laisse deviner le désir de l'auteur d'écrire un conte merveilleux pour enseigner aux adultes l'art de naviguer au milieu des marins profanes sur un océan trompeur afin de ne pas sombrer dans l'abîme du rêve, contrairement à Émile Nelligan.

Comme l'héroïne de Michel Tremblay dans Le Cahier noir, Alice œuvre dans un restaurant, végétarien celui-là, avec des employés venus de tous les horizons. Ensemble, ils tentent de mettre à l'heure juste la pendule de leur vie. Malmenés par un parcours douloureux, les personnages gardent l'espoir de trouver enfin le bonheur. Parallèlement à leur travail, ils tentent de mener à bon port des projets salvateurs comme le retour aux études ou encore l'écriture. L'auteur leur prête sa plume pour faire, à tour de rôle, les mises en abîme de ce qui les a stigmatisés. L'exil, la prison, la mort et la séparation composent le menu des deuils qu'ils doivent faire pour affronter l'avenir avec plus de sérénité.

Alice, caissière, puis finalement cuisinière, est enceinte d'un mari qui s'est enfui. Sacrée reine par ses collègues de travail, elle leur distribue des postes ministériels qui répondent à leur fonction dans l'établissement. Cette approche ludique sert à développer la thématique de la convivialité pour guérir des maux de l'âme. La devise des mousquetaires leur conviendrait parfaitement : tous pour un, un pour tous. Comme les trois mousquetaires étaient quatre, l'auteur a introduit le fœtus que porte son héroïne. À l'instar de la littérature fantastique, il mène une vie sociale intra-utérine active en réagissant aux comportements des sujets du royaume. Son préféré est le plongeur, un Bangladais qui écrit des contes pour sa mère, mais qui le renseigne surtout sur son père. Ce dernier tient un site WEB dans lequel il débat des sujets de l'heure, en plus de retracer le passé d'Alice pour lui exprimer son amour malgré son départ.

Cette œuvre sur la résilience est en fait une histoire d'amour qui ne veut pas mourir. Le bonheur se cache dans les relations avec autrui. Comme l'enfant du Tambour de Günter Grass qui refuse de grandir dans notre monde d'adultes, le fœtus reste prisonnier du corps d'Alice qui le porte pendant presque trois ans. Gaétan Lebœuf a livré une belle histoire, très humaine, pour nous inviter à partager avant de chercher à comprendre l'humanité, tellement complexe d'ailleurs qu'il est impossible d'y parvenir. La thèse est bien défendue, mais les sous-thèses ne l'appuient pas toujours. Les recettes et les problèmes de l'actualité ralentissent le déroulement de l'intrigue, soutenue presque uniquement d'éléments psychologiques. En somme, ça manque d'homogénéité. La forme s'éparpille dans tous les genres : contes, expressions d'opinion, dialogues nombreux apparentés aux scénarii de films. Sans compter que l'écriture manque de souplesse, tout embourbée qu'elle est dans ses subordonnées. Ces bémols sont suffisants pour atténuer la magie de ce conte urbain, mais il reste que l'auteur manifeste un don pour l'émerveillement et une imagination qui sait conférer à l'humour un accent original.