Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Cloutier, Annie

Ce qui s'endigue. Éd. Triptyque, 2009, 235 p.


Deux battantes néerlandaises

Avant 1960, au Québec, les femmes mariées n’avaient pas le droit d’enseigner. Comme l’espace public était réservé aux hommes, Annie Cloutier s’est intéressée à la vie accordée au féminin. Ses deux romans y sont consacrés, soit Le Grand Commandeur paru en 2004 et Ce qui s’endigue. Ce dernier témoigne de l’aptitude du « sexe faible » à occuper l’avant-scène, en l’occurrence celle des Pays-Bas, dont l’auteure trace un tableau voisin du documentaire, accompagné d’ailleurs d’une bibliographie. Au-delà des frikandelles (saucisses) et du stamppot (version de notre pâté chinois), elle examine de nombreux aspects de la vie néerlandaise, soit du système scolaire à la colonisation de l’Indonésie.

Annie Cloutier soutient sa thèse à travers deux battantes nées le même jour à Delft. Le roman suit leur itinéraire dans un parallélisme lassant. Angela, une femme rageuse, est amenée à travailler à Jakarta, pour promouvoir les produits équitables avant d’entreprendre, au mitan de la vie, des études en médecine. Anna, troublée par le suicide de sa mère, est gynécologue. Elle se fait l’ardente défenderesse de la césarienne. Pourquoi la femme n’aurait-elle pas recours à la science médicale pour s’épargner les douleurs insupportables de l’accouchement ? Le trajet qu’elles ont parcouru les a éclipsées de la présence de l’autre, mais le temps les rattrape en bout de ligne pour meubler leur vieillesse de la plus belle des amitiés. En fait, le roman invite les femmes à endiguer leur vie pour la rendre la plus satisfaisante possible. Elles se doivent de s’épanouir avec leurs enfants, leurs amis et un mari apte à combler leurs besoins affectifs. Sans être nécessairement une inaccessible étoile, cet idéal est à la portée de la main si l’on s’applique à triompher des embûches.

Avec toute la richesse possible, l’auteure relate les tenants et les aboutissants de deux destinées qu’elle met en corrélation avec les particularités géographiques des Pays-Bas, à l’instar d’Yolande Villemaire dans La Déferlante d’Amsterdam. Comme les digues ont empêché la mer de rayer ce pays de la mappe, Annie Cloutier invite les femmes à construire les leurs pour être citoyennes du monde à part entière. Avec une plume poétique, parfois rabattue par le vent de la tourmente grammaticale, elle découpe souvent sa prose selon les normes de la versification, sans autre but que d’occuper la surface de la page de façon différente. Bref, à l’écart d'un féminisme grincheux, Annie Cloutier, comme Lise Tremblay dans La Sœur de Judith, nous détourne de l’éternel féminin, qui n’ose pas s’assumer.