Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Girard, Simon (1979)

Dawson Kid . Éd. du Boréal, 2007, 192 p.

Vivre ou Mourir

Si la boxe connaît une certaine popularité, c'est qu'elle personnifie un besoin : celui de vaincre les obstacles de la vie. Ce sport se prête bien à l'allégorie pour résumer l'essence de notre passage sur terre. Simon Girard s'est servi avec art de cet univers pour couvrir la quête personnelle de Rose Bourassa. Jeune Montréalaise de 20 ans, victime d'inceste à sept ans, fuyant l'atmosphère malsaine de sa famille, l'héroïne joint le rang des strip-teaseuses pour ensuite abandonner l'effeuillage en faveur du ring.

Cet exutoire fournit le canal propice à sa révolte. Seule au monde, elle développe avec son vieil entraîneur une complicité tacite. Pour une fois dans sa vie, elle est appréciée pour ce qu'elle est. Aux petits gestes attentionnés de son " coach " taciturne, elle comprend qu'elle vient d'acquérir le substitut paternel qui facilitera l'atteinte de ses objectifs. Sans son soutien moral, elle aurait probablement laissé libre cours à son instinct suicidaire en se jetant devant une rame de wagons du métro. C'est le point fort du roman qui transforme une victime potentielle en battante. Commence alors une course à la vie. Se rangeant du côté des tueurs plutôt que de ceux que l'on abat, l'héroïne se glisse dans la peau de tous les Dawson killers qui tournent leur arme vers autrui pour reculer leur propre mort, comme le démontre aussi la tuerie à l'université de Montréal, racontée par Fulvio Caccia dans La Coïncidence. Dans un monde de violence gratuite, Rose en conclut à la nécessité d'une carapace pour résister aux assauts des oppresseurs. La boxe joue donc le rôle d'une catharsis pour devenir invulnérable. À la lumière du portrait psychologique qu'en donne l'auteur, nous comprenons que son héroïne veuille échapper à la malveillance humaine. Comme elle est une femme, sa condition lui suffit amplement comme infériorisation dans notre monde encore machiste. Plus que sa féminité, ce qui l'obnubile, c'est sa finalité. Elle ne veut pas mourir comme un rat. Autrement dit, elle résout son dilemme shakespearien en choisissant de reconquérir sa dignité perdue aux mains de son père et de la protéger contre tous les monstres qui travestissent leurs souffrances en fusillade.

Simon Girard trace le profil d'une gagnante qui a trouvé dans la boxe sa planche de salut. Si son roman combat le défaitisme, il n'en est pas pour autant dénué d'une dureté qui pourrait choquer ceux qui refusent de sonder les causes de la dérive. Cette œuvre surprend surtout par son écriture. Les premières pages peuvent nous laisser croire que l'auteur tente d'imiter la grammaire minimaliste de l'oralité. Au contraire, sa plume révèle un énorme travail pour calquer la spontanéité d'une pensée vagabonde, comme l'a fait Martin Arsenault dans Album des finissants. Comparable à celle du clavardage, passée au filtre de la correction, elle emprisonne les personnages dans un ghetto linguistique qui laisse filtrer les sentiments au compte-gouttes. La distance ainsi créée entre la formulation et l'art romanesque façonne des robots au service d'une démonstration. Mais il reste que Simon Girard, né en 1979, manifeste un grand talent d'écrivain, qui s'appuie sur l'authenticité et l'innovation dans l'art d'écrire.