Paul-André Proulx

Littérature Québecoise

Delisle, Michael

Dée. Éd. Leméac, 2002, 125 p.

De la campagne à la banlieue

Michael Delisle est très sensible à l'étalement urbain. Dans Fontainebleau, il décrivait son enfance à Longueuil, où ses parents avaient acquis dans les années 1950 un lotissement gagné sur les terres agricoles. Avec Dée, il continue son investigation du phénomène qui transforme le Québec en immenses parcs industriels entourés d'habitations construites selon les mêmes modèles architecturaux.

Cette fois-ci, l'auteur examine une dynamique plus complexe. En plus de s'attacher aux futurs citadins qui envahissent les territoires arrachés à l'agriculture ou à l'élevage, il dirige aussi son projecteur sur ceux qui doivent quitter leurs fermes à l'image des habitants de Mirabel, victimes de l'expropriation démesurée des administrateurs publics. La famille Provost doit donc se reloger dans une autre municipalité afin de continuer leur élevage de porcs. À l'exception de Sally, l'aînée déjà partie, Charly et Audrey, surnommée Dée, perdent leur paysage d'enfance. Élevés près d'une soue et de terrains boueux, ils ont vécu une symbiose avec un environnement dur qui les a investis de sa rusticité. La fillette a été marquée par cette atmosphère fruste. Les parents n'ont pas assuré de liens entre la dureté du milieu et les besoins affectifs de leurs enfants. Ils les ont laissés à eux-mêmes, voire même poussé la cadette vers les adultes obligés de la maison comme le vétérinaire pour recevoir sa dose d'affection. Investie d'une éducation lubrique, Dée va vers les hommes, sans méfiance, obligeant ainsi sa mère à la marier à quelqu'un du double de son âge.

Pour elle, l'amour était au rendez-vous de cette union arrangée. Dée en était même heureuse, d'autant plus que son mari lui offrait la possibilité d'habiter l'une de ces nouvelles maisons proprettes de la banlieue. Avec ce mariage, commence la deuxième partie du diptyque. Vivre autour des grands centres exige une formation. Il faut s'occuper du gazon, planter des fleurs, chasser les pissenlits. Dée n'a pas reçu cette éducation qui l'aurait préparée à sa vie de banlieusarde. C'est d'autant plus difficile qu'elle réalise que son mari ne l'aime pas. Toujours parti, il continue de mener une vie de célibataire. Cette constatation n'est pas sans conséquences. Elle se replie sur elle-même après quelques tentatives pour sortir de son cocon. Coupant tout lien avec l'extérieur, elle perpétue l'éducation qu'elle a reçue en profitant de son fils de quatre ans pour combler ses besoins sexuels.

Dans une langue dépouillée, l'auteur a tracé le portrait d'un Québec en évolution pour laquelle tous n'étaient pas préparés. Ce déracinement au profit de la banlieue ne raffine pas pour autant les mœurs. La misère morale ne connaît pas de frontières. La démonstration de Michael Delisle est brillante, mais elle heurtera ceux qui sont nés sur une ferme