Paul-André Proulx

Littérature Québecoises
Carpentier, André

Dylanne et moi. Éd. Boréal, 2012, 135 p.

Le Corps au service de l'âme

André Carpentier frappe l'imaginaire par son originalité. Dans un angle secret, il piège ses personnages pour qu'ils apprennent à gérer le désaccord de l'être et du paraître. C'est la thématique de ce bref roman, émouvant dans une quête involontaire de soi.

Un médecin en rémission d'un cancer répond à une offre d'un hebdomadaire de quartier de Montréal. Dylanne recherche un homme pour " une expérience artistique à deux ". " Galants s'abstenir ", précise-t-elle. Comme ce ne semble pas très engageant, le héros prend rendez-vous avec cette artiste sans attachement à aucune forme d'art. Particulier !

En fait, Dylanne s'est attaquée à un projet bien défini : révéler ce que l'on est. Détruire le moule d'où l'on est sorti pour franchir les frontières que l'on s'est imposées par loyauté à sa caste. Mission impossible si l'on refuse a priori de recouvrer toutes les facettes de son humanité. Pour atteindre cet objectif, Dylanne a décidé de se faire photographier dans son loft sous de multiples angles, car l'art capte " des détails égrenés par la vie et leur prête un sens ".

Mais anguille se cache sous roche. Le cliché doit résulter d'un appareil manié par un homme nu. " Toute nudité est d'une brutale vérité " quand elle prend congé de sa connotation sexuelle. Pas de faux-fuyant possible. C'est du plain-pied qui pose tous et chacun sur le même socle. Le marché conclu, les protagonistes participent à leur nouvelle naissance. Dans une conjoncture déroutante, la sincérité du corps s'accroît. Et du corps surgit la vérité.

Cette première séance de photographies se double d'une deuxième trois ans plus tard. Les rôles sont inversés. C'est Dylanne qui met en photos son sujet. Le médecin se méfie parce qu'il craint de se dévoiler aux autres plus qu'à lui-même. Il s'offre tout de même corps et âme, car " la sincérité est au principe de toute œuvre ". Et cette œuvre intéresse un éditeur, qui réunit ces photos en deux volumes.

Le roman est exigeant de par sa portée métaphysique. Mais le lecteur aguerri y trouvera son compte d'autant plus que l'auteur ne pratique pas une écriture hermétique. Ce roman d'une grande économie est écrit sans prétention.

Bref, la photographie est au service du véritable soi. À travers la nudité, elle réduit l'humanité à l'essentiel. Les peintres de la Renaissance l'ont bien compris. Hors de ce champ de connaissances, le Vatican serait le décor d'un vaste bordel.