Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Botchorichvili, Elena.

Faïna. Éd. du Boréal, 2006, 108 p.

Pour que vole au vent le voile de la mariée géorgienne

Jean-Paul Sartre a démissionné du parti communiste quand il a appris comment se vivait au quotidien l'application d'un régime dirigé soi-disant par le peuple et pour le peuple. Depuis Staline, les chefs politiques, " trop vieux pour retenir leurs pets ", se sont succédé avec le même souci de sauvegarder les privilèges qu'ils s'étaient octroyés au détriment d'une population assujettie à leur débrouillardise pour survivre.

C'est dans ce contexte que Faïna tente d'assumer sa féminité depuis que ses seins sont apparus à l'été de ses seize ans. Le dilemme devient alors d'ordre matrimonial. La femme de Géorgie doit se marier, voire même avec un " bleu " s'il le faut. Terme plus évocateur que " gay ". L'héroïne ne remet pas en cause les données de sa culture. Consciencieuse, elle veut se préparer à son futur rôle d'épouse. Et c'est à la lignée maternelle qu'elle s'adresse pour acquérir ce que toute jeune femme devrait savoir. Le silence accueille ses questions les plus légitimes sur le sujet. Comme lui répond sa grand'mère Noutsa : " Les mots, c'est quoi? Du vent! Il faut bien se marier au moins une fois dans sa vie, petite." Le suspense de cette chronique repose sur la quête d'un mari pour Faïna. Noutsa, vissée à un fauteuil roulant, envoie sa petite-fille assister aux funérailles afin de dénicher, grâce à ses belles " bombes ", le jeune homme désireux de s'offrir " le flambeau de son triangle sacré ".

La novella illustre les facettes de la femme géorgienne, implantée dans un terreau politique qui réduit sa qualité de vie. Grâce à son caractère festif, elle parvient malgré tout à tirer les marrons du feu. Tout est sujet à préparer des libations, en dépit de la pénurie alimentaire, pour ficeler à la famille, par exemple, les candidats au mariage. En somme, il faut agir pour suppléer à l'incurie gouvernementale. C'est ainsi que se justifie le père de Faïna, un médecin amputé, qui pratique dans la clandestinité des avortements sur la table de la cuisine.

Des trois œuvres de l'auteure, cette dernière est la plus faible. Comme immigrante, elle a accompli un exercice de mémoire pour sceller son sort aux femmes qui l'ont façonnée. Hélas, ses portraits sont trop anecdotiques pour constituer une galerie pertinente de l'âme féminine en Géorgie. Peut-être que la magie de l'écriture poétique est brisée par les effets pervers de la traduction qui empêchent le voile de la mariée de voler au vent.