Paul-André Proulx

Littérature Québecoise

Beaulieu, Alain

Fou-Bar. Éd. Québec Amérique, 1997, 228 p.

De l'hypocrisie des bourgeois

En 1934, Jean-Charles Harvey écrivait Les Demi-Civilisés, oeuvre qui fut interdite parce qu'elle s'attaquait aux mœurs des bourgeois. Soixante-trois plus tard, Alain Beaulieu reprend le flambeau pour éclairer, à son tour, l'hypocrisie de la génération de ceux qui l'ont précédé. La littérature québécoise compte ainsi de nombreuses dénonciations de parents plus ou moins aisés, auxquels la jeunesse se promet de ne pas ressembler. Il n'est plus question de se conformer à des préceptes chrétiens, qui ont banni les principaux commandements de Dieu, soit celui de l'amour et de la charité d'où découle la tolérance.

Les jeunes protagonistes du roman se rassemblent donc le soir au Fou-Bar, sis au 525 de la rue Saint-Jean à Québec. Attablés autour de bières artisanales, qui font la renommée de la maison, ces purs et durs refont le monde sans se soucier du réalisme de leurs arguties. Rien ne les limite, tels les jeunes des Demi-Civilisés qui organisaient des " wild parties " pour expérimenter les interdits sociaux. Tous tiennent de beaux discours idéologiques, très articulés d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, le héros, Harold Lubie, pour être fidèle à son nom de famille, ne se privera pas du plaisir de faire payer aux bien-pensants de la classe moyenne, le prix de leur concubinage avec le mensonge, auquel ils recourent pour sauvegarder les apparences. En un rien de temps, il mettra au point une technique infaillible pour dévaliser leurs maisons des banlieues cossues, sans attirer les soupçons sur sa personne.

Cette activité devient risquée quand Nadine oblige presque le héros à se joindre à elle pour commettre ses méfaits. L'aventure débute du bon pied et conduit même à l'amour. Mais la situation tourne au vinaigre, car la police surprend rapidement la voleuse en flagrant délit. Ce volet se ferme sur le monde de l'adoption. Les larcins de l'héroïne l'avaient amenée à découvrir des cassettes, qui l'ont sidérée en reconnaissant une fillette qu'elle ne croyait pas être adoptée. C'est l'élément retenu par l'auteur pour étayer sa thèse sur l'hypocrisie des nantis qui frappaient d'ostracisme les jeunes célibataires enceintes. L'époque pratiquait l'abandon des enfants issus d'un amour interdit plutôt que de les protéger comme le commande la charité chrétienne.

La trame soutient bien l'intention d'Alain Beaulieu. Comme Pierre Corneille, il décrit une société privilégiant l'honneur à toutes les valeurs alors que des jeunes se lancent à corps perdu dans des expériences de perdition, faute de modèles empreints de pureté. Le thème de la jeunesse des années 80 n'est pas nouveau, mais l'efficacité du traitement empêche l'enlisement dans les ornières. Si, par ailleurs, la thèse ressemble parfois à un cri primal, il reste que le romancier sait où le bât blesse. Et il a le mérite de l'indiquer avec une plume claire, vivante et parfois enjouée. Comme Le Hasard défait bien des choses de Nando Michaud, Fou-Bar dépeint éloquemment les folles années de ceux qui entament leur quarantaine.