Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Bissonnette, Jacques.

Gueule d'ange. Éd. Libre Expression, 1998, 301 p.

Fugue et Body-piercing

Jacques Bissonnette aborde avec son polar intitulé Gueule d'ange un sujet méconnu, celui du monde du body-piercing. Les manifestations visibles de cet univers forment la pointe de l'iceberg. Que se cache-t-il sous l'eau? On croirait que des requins sont à la recherche de proies pour combler leur appétit pécuniaire. C'est l'impression qui se dégage de ce roman ancré dans les milieux glauques de Montréal, qui rassemblent au centre-ville les adolescents marginaux et leurs semblables des quatre coins du Québec.

Le titre de l'œuvre exprime bien ce que l'on voit. Comme le feu sous la cendre, ces faces d'ange couvent une révolte à peine contenue par la drogue, la prostitution, le body-piercing... C'est toute une race qui endosse des vêtements provocateurs pour signaler que nous représentons l'ennemi à abattre. Dans les cultures primitives, le perçage indiquait le passage de l'adolescence à la vie adulte. Aujourd'hui, il constitue " une façon de se démarquer dans un monde dénué de valeurs et d'affirmer sa liberté face aux comportements sociaux établis. " Mais ce que ces jeunes ne savent pas, c'est que certains appuient leur démarche dans le but de s'enrichir à leurs dépens. On les embrigade dans des réseaux qui exploitent la faiblesse humaine avec des offres qu'ils ne peuvent refuser à l'instar de l'univers mafieux. Bref, on change d'enfer.

C'est ce qui arrive à deux membres d'un trio composé d'adolescentes en fugue interpellées par des adeptes du body-piercing. L'enquête qui s'en suit amène une policière dévouée, qui se prend de sympathie pour Dahlia, la gueule d'ange du polar. Celle-ci n'est pas sans éveiller chez elle ses relations tendues avec sa mère. Cette équation existentielle fournit le zèle nécessaire pour démembrer un réseau de fans du body-piercing, qui se sert de cette mode pour abuser sexuellement des adolescentes à qui on suspend un anneau au sexe.

Ce roman colle à la réalité montréalaise. L'auteur l'a structuré avec une habileté qui évite les longueurs sans compter l'écriture qui lui donne un rythme endiablé. C'est un polar réussi, même si l'on peut douter de la très grande chaleur humaine démontrée par la policière et ses confrères. Normalement, on arrête l'âme récalcitrante pour la confier à la DPJ, seul organisme mandaté pour s'occuper de la conduite délinquante des jeunes.