Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Caron, Louis

Il n'y a plus d'Amérique. Éd. du Boréal, 2002, 426 p.

Les Dérivés des valeurs américaines

Louis Caron s'est servi avec habileté du matériel des historiens pour en faire des romans qui suivent notre destin collectif à partir du X1Xe siècle. Avec Il n'y a plus d'Amérique, il délaisse sa manière pour plonger dans la contemporanéité. L'auteur s'est inspiré d'adolescents de Longueuil, François et Fanny, qui ont été violés et jetés en bas du pont Jacques-Cartier. Cet incident fut très médiatisé, surtout à cause des parents de l'une des victimes, qui ont pardonné aux assaillants de leur enfant.

Louis Caron consacre la première partie de son roman à narrer ce drame survenu alors que les deux ados revenaient de La Ronde. Par contre, l'auteur n'a pas choisi la voie du pardon comme antidote à ce crime. La mort sordide de François entraîne plutôt la dislocation du couple parce que la mère tient son mari responsable du drame. Quand leur enfant appelle pour qu'on vienne le chercher ainsi que sa copine, son père lui oppose un refus catégorique d'autant plus qu'ils reçoivent ce soir-là des clients français en quête de bois d'ébénisterie. Or, après les funérailles, Suzanne indique la porte à Hubert même si, ensemble, le couple avait mis sur pied un commerce florissant.

Pour faire le deuil de leur enfant unique, la mère adhère à une secte établie dans les Cantons de l'Est, et le père se joint à un Américain illuminé de l'état de New York, qui entraîne une milice pour abattre un jour le président des États-Unis, rien de moins. Parce qu'il aime encore sa femme, Hubert se sert de lui pour la tirer des griffes d'un autre illuminé de la Californie, qui a fondé une secte lucrative grâce à ses membres en quête de guérison pour les maux de l'âme. S'il pouvait retrouver l'amour de sa femme, croit-il, son deuil pourrait être plus supportable. Le destin lui apprend que son apaisement ne tenait pas à cette solution.

Il n'y a plus d'Amérique n'est pas un titre équivoque. Si la constitution américaine est la plus belle au monde, les responsables de son application pèchent contre l'idéal de ceux qui l'ont adoptée. C'est pourquoi naissent, chez nos voisins du Sud, des illuminés, qui veulent faire revivre dans leur pays l'esprit des fondateurs. Leur intention fort louable est servie par des moyens discutables. Certains recourent à des valeurs guerrières, d'autres à des valeurs religieuses. Le roman de Louis Caron s'insère dans ce cadre très américain. À partir d'un deuil, il fait le procès de l'Amérique du Nord. Qu'offre-t-elle à ceux qui souffrent des maux de notre société? Présentement la violence et la religion spoliatrice semblent être les deux seuls remèdes à leur disposition. L'auteur offre sa solution en pointant les premiers habitants de ce continent, auprès desquels Suzanne trouve le salut.

Campée en grande partie dans un village sis au pied des montagnes de l'état de New York, cette œuvre se présente comme un suspense, qui connaît un dénouement apocalyptique flamboyant à l'américaine. L'auteur a écrit un roman complexe, dont la structure évite la linéarité par un parallélisme, qui prend fin avec la découverte du véritable narrateur. Mais on ne s'égare pas dans les labyrinthes et on ne s'y ennuie pas. C'est simple à lire malgré tout, car l'écriture dépouillée est efficace. Quel plaisir de lire un roman américain écrit en français sans qu'il soit dénaturé par la traduction! Le Québec compte maintenant quelques auteurs intéressés par notre américanité, tels Louis Hamelin et Louis Caron.