Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Blais, François.

Iphigénie en Haute-Ville
. Éd. L'Instant même, 2006, 201 p.

L'Amour à l'ère électronique

Voilà un roman original pour ceux qui s'évertuent à débusquer l'âme sœur au moyen du courrier électronique. L'auteur fuit la banalité des échanges séducteurs entre deux tourtereaux de la vingtaine. Mine de rien, il illustre les effets de ce médium sur leurs sentiments. Derrière l'écran qui protège leur anonymat, les correspondants peuvent communiquer sans se compromettre. Comme l'alcool, cette technologie enraye les inhibitions, d'autant plus que l'on se sent moins engagés par des relations ainsi créées.

C'est ce qui advient à Iphigénie, une étudiante de l'université Laval. Une nuit, elle reçoit un appel téléphonique d'Érostrate, qui a relevé son numéro sur un mur des toilettes d'un bar. Ils se rencontrent avant qu'elle ne retourne dans sa famille à Grand'Mère pour les vacances d'été. Solitaire et fuyant la vacuité de la vie sociale, elle lui écrit un message pour combler son désœuvrement. Ayant obtenu son adresse de courrier quand le jeune homme lui rendit une brève visite à son appartement de la Haute-Ville de Québec, l'héroïne veut exploiter l'intérêt commun qu'ils portent à la littérature russe.

S'entament alors des échanges qui révèlent l'âme des deux protagonistes. Partageant une misanthropie commune, ils s'en donnent à cœur joie, dans un premier temps, pour décrier les clients de Wal-Mart et, surtout, les adeptes d'ésotérisme. Pourquoi ne profiteraient-ils pas de l'imbécillité de ces " tarés " en exploitant l'aisance de leur plume pour rédiger un essai sur le sujet ? Un livre rentable qui emprunte les paramètres du genre. On ne s'adonne pas à une telle activité sans qu'à un moment donné, Cupidon fasse sentir ses effets. Le lecteur s'attend à " un amour à l'eau de rose " comme le présume le sous-titre du roman. Mais c'est méconnaître les effets cathodiques des gadgets électroniques. On se découvre des affinités, mais le partage des plaisirs qui en découlent se heurte à la froideur du médium, a écrit Marshall MacLuhan dans Pour comprendre les média. Comme une pile, l'ordinateur tombe à plat rapidement après avoir survolté les atomes crochus. Dans Le Facteur émotif, Denis Thériault exploitait le même filon avec la correspondance d'une Guadeloupéenne et d'un Québécois épris de poésie japonaise.

François Blais présente des jeunes cultivés et conscientisés qui jettent un regard acéré sur notre monde. Son petit guide des cogitations étudiantes, écrit sur un mode humoristique, provoque finalement la lassitude à cause de son enchevêtrement, d'autant plus que la structure reposant sur des courriels accroît cette sensation. Par contre, l'écriture alerte et bien tournée réussit à imposer ce jeune auteur fringant comme un poulain au printemps dans un pré d'herbes vertes.