Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Saucier, Jocelyne.

Jeanne sur les routes. Éd. XYZ, 2006, 143 p.

Rouyn, ville communiste des années 30

La classe ouvrière n'est pas un thème récurrent en littérature. Ce sont surtout les romancières qui se sont penchées sur le sort réservé aux travailleurs, telles Marie-Paule Villeneuve, Anne Dandurand et Jocelyne Saucier. Cette dernière s'est inspirée du passage de Jeanne Corbin à Rouyn en 1933. Grâce à son charisme, cette immigrante française a rallié à la cause communiste les mineurs et les bûcherons, composés en grand nombre d'Ukrainiens et de Finlandais, venus en Abitibi pour chasser la guigne des guerres et de la Crise économique.

Ce personnage sert de pivot à la mise en relief d'une famille de la rue Dallaire. Le père, journaliste au Rouyn Noranda Press, tombe sous le joug de la militante marxiste en couvrant son célèbre discours prononcé au temple finlandais du travail, où elle incite les participants à faire la grève pour améliorer leurs conditions. Dès lors il devient l'un de ses fervents disciples, consacrant le reste de ses jours à la propagation de la Cause. Les siens se sentent menacés par les relations qu'il entretient avec cette femme tuberculose venue répandre la bonne nouvelle en terre canadienne. Mais soutenue par ses convictions religieuses, la mère tient le phare alors même qu'elle soupçonne que le prosélytisme de son mari résulte d'un amour inavoué.

La diégèse trouve son originalité dans la forme que Jocelyne Saucier donne à son roman. C'est à travers la narratrice, la cadette des trois filles du couple qui porte le prénom de l'héroïne, qu'apparaît la singularité de son père. L'accompagnant sur les routes alors qu'il va porter le message communiste aux quatre coins de l'Abitibi, elle peaufine ses connaissances de la marxiste qu'elle n'a pas connue, sauf par l'intermédiaire de ses sœurs qui s'amusaient à faire du théâtre d'enfant en s'inspirant de la vie paternelle. La narration répond à un triptyque qui suit, sans linéarité, l'enfance, l'adolescence et la vie adulte de la jeune Jeanne. Cet écheveau à trois brins illustre comment la gauche naquit et mourut, faute de répondre aux vrais attentes du prolétariat. Le roman, construit intelligemment et écrit d'une plume sûre, ouvre une lucarne sur une période de notre Histoire condamnée aux oubliettes.