Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Trifiatis, Tassia,

Judas. Éd. Leméac, 2007, 142 p.

Aimer un juif hassidique

Dans le contexte de l'enquête Bouchard-Taylor, ce roman éclaire nos réactions face à la différence d'autrui. Il y apparaît clairement que la religion est la première responsable de ce qui nous oppose. Le deuxième commandement de Dieu ordonne d'aimer notre prochain, mais les différentes confessions l'imposent seulement entre les membres de leurs communautés. Hors des dénominations religieuses, la guerre sainte. On défend tous les rapprochements, comme le prouve l'amour d'une jeune architecte montréalaise orthodoxe pour un juif hassidique.

Se sentant bien seule depuis que ses parents sont retournés en Grèce, Neffeli rencontre Yéhouda (Judas en hébreu) dans un hôpital où elle s'est fait avorter alors que son fiancé s'est rendu au chevet de son père malade en Syrie. Haïthem, c'est l'amoureux arabe dont elle est l'idole exotique, mais qu'elle n'aime pas. Yéhouda, c'est celui qu'elle a dans la peau, le petit juif qui travaille au restaurant du coin comme caissier. D'ailleurs, Neffeli l'épie par la vitre qui lui " divulgue ce magnifique employé ".Quand on est en amour, on est prêt à tout, même à souffrir dans sa chair pour l'être cher. Voire mentir pour se l'attacher à jamais. Pourquoi ne pas lui faire croire que leur amour illicite s'annonce fructueux quand les accommodements raisonnables butent contre l'entêtement indéfendable des religions? Dans toute sa naïveté, l'héroïne se prend pour David en livrant un combat à forces inégales qu'elle est sûre de gagner. Son Goliath est plus futé que celui de la Bible : il sait protéger les siens contre le mal que représente autrui.

Que faire pour adoucir l'amertume de la défaite? Renouer avec sa famille et lever les yeux au ciel en invoquant un saint de son Église. Appuis bien minces quand il faut porter le deuil de ses amours. C'est avec une écriture métaphorique, mais hésitante dans sa syntaxe que l'auteure démontre comment les religions théistes défigurent l'amour. Comme dans Hassada de Myriam Beaudoin et dans Kippour de Marc-Alain Wolf, on craint de passer pour un Judas en pactisant avec un adversaire que l'on ne veut pas convertir? Ce roman d'amour s'élève au-dessus des conventions du genre, mais ce n'est qu'une autopsie sommaire d'amours mortes, qui rappelle Folle de Nelly Arcan, hormis l'intimité sexuelle.