Paul-André Proulx

Littérature Québecoise

Gagnon, Sylvie.

La Bibliothécaire et l'Américain. Éd. Les Intouchables, 2002, 150 p.

Des jumeaux dépareillés

Avec son premier roman, Sylvie Gagnon offre un ouvrage digne de mention. Elle trace le portrait de Blanche, une femme de la trentaine qui ne s'aime pas parce qu'elle se considère comme une sauvageonne. Elle voudrait être transparente afin que personne ne la voie. Son travail de bibliothécaire rencontre son objectif, car elle est confinée au rangement des livres sur les rayons.

C'est rare que l'on aborde le thème de la femme " reject ". Évidemment, le manque d'assurance incite l'entourage à accroître son estime de soi aux dépens de ceux qui se mésestiment. Souffre-douleur de ses collègues, Blanche s'évapore entre les rayons de la bibliothèque, où elle développe un don qui compense ses malheurs. À entendre les chuchotis des étudiants et des professeurs, qui ne la voient pas, elle en arrive à lire assez justement dans les consciences. Ce pouvoir la dessert plus qu'autre chose. Mais au moins, elle peut devancer la pensée d'autrui, comme celle de sa supérieure qui a prévu la congédier.

Pour améliorer son sort, elle joint d'abord les rangs d'une secte dans laquelle le gourou l'astreint aux tâches les plus humbles alors que lui-même profite de sa situation pour engrosser les membres féminins du mouvement. Lorsque les installations sont détruites par un incendie dans lequel périt son enfant, elle devient bibliothécaire, mais cette époque de sa vie la marque à tout jamais. Ainsi effarouchée, elle n'attire pas les hommes. Elle compte quand même trois amis, dont l'un d'eux fait l'objet de la deuxième partie du diptyque.

Optant pour un nouveau narrateur, anonyme celui-là, l'auteure y raconte la vie d'Alan, un Bostonnais, qui s'amène à Montréal pour trouver ses parents biologiques. Pendant cette odyssée, il vérifie ses jugements sur un peuple qui n'a pas très bonne réputation à ses yeux. Devenu professeur au Québec, il " aurait trouvé des origines autochtones intéressantes, passionnantes même, mais être canadien-français, non. Il n'arrive pas à s'imaginer comment il pourrait s'identifier à ces perdants nés, ces petits frustrés de l'histoire, qui se prennent pour le nombril de leur monde et essaient de refaire l'histoire à l'envers, tout en se faisant du capital politique sur le dos des minorités. " Peu à peu, il apprend à mieux connaître les Québécois. Malheureusement ses parents sont déjà morts, mais il découvre qu'il a une sœur jumelle qui vit à Montréal. Comme cette découverte enraie ses malaises existentiels, il retourne à Boston avec la bibliothécaire congédiée en même temps que lui de la même institution. Elle trouve ainsi son équilibre et renoue avec son métier dans la vie natale de son sauveur.

En somme, ce sont des gens de 30 ans qui tentent de combler leurs carences. Le dénouement inattendu scelle l'atteinte de leurs objectifs dans un happy end maladroit, qui numérote au crayon feutre les dernières pièces du puzzle. Cet empressement pour terminer ce roman pas assez homogène gâte un peu la sauce. C'est quand même intéressant, en particulier pour les états d'âme décrits avec habileté et l'écriture qui conserve le charme de l'oralité tout en restant normative.