Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Bissoondath, Neil.

La Clameur des ténèbres.
Éd. Du Boréal, 2006, 474 p.

Un jeune prof aux prises avec une guerre civile

C'est une île quelque part au large de l'Inde qui sert de cadre à La Clameur des ténèbres de Neil Bissoondath, un Québécois né à Trinité. Comme Michael Ondaatje dans Le Fantôme d'Anil, il pointe les malaises d'un pays déchiré par une guerre civile qui pourrait bien être le Sri Lanka. Le Nord est rallié à la cause gouvernementale tandis que le Sud, occupé par les rebelles, subit les dommages collatéraux engendrés par la haine des clans.

Il ne s'agit pas d'un roman politique. Le conflit fournit la toile de fond pour scruter le comportement des habitants qui défraient à grand prix leur lutte fratricide. Le héros Arun est un jeune prahib, un enseignant venu du Nord, qui, grâce à l'instruction, ambitionne d'améliorer le sort des rikshas, les défavorisés du Sud. Animé par ce noble idéal qui caractérise la jeunesse, il quitte donc une famille aisée qui lui a offert sur un plat d'argent les rênes d'une entreprise très rentable. Au-delà de toute idéologie, il se croit " capable de vivre dans un pays empreint de violence sans se laisser effleurer par elle, d'être là mais meilleur, dans la marge, d'avoir un effet sur le lieu tout en demeurant insensible aux forces qui le régissent. "

Les illusions d'Arun s'effondrent assez vite. Ses certitudes se dissolvent au contact des gens qui veulent l'entraîner dans leur camp. Il apprend à ses dépens qu'il faut afficher son enseigne. Il n'existe pas de mode neutre pour conjuguer la vie. Le héros tente d'adapter sa perception de la problématique sur ceux qu'il fréquente, mais il réalise que la trahison et la complicité sont fondues dans un même moule. Le contexte social commande d'adopter une attitude équivoque pour survivre quand la démocratie a perdu son droit de cité.

Ce roman s'adresse en particulier à tous les jeunes qui rêvent d'un ailleurs pour s'émanciper. Ils apprendront qu'ils ne peuvent faire bande à part et qu'ils risquent même de se faire embrigader, à cause de leur candeur, comme kamikazes pour défendre la cause. Ce beau roman reflète bien l'ambiance qui mène aux actes terroristes, mais il a été traduit à toute vapeur comme cette phrase qui résume le bilan de l'expérience du héros : " Cela, savait désormais Arun, de la part d'un homme qui se vantait d'avoir la bosse des affaires… "