Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Loignon, Nathalie.

La Corde à danser. Éd. La Courte Échelle, 2004, 154 p.

Une enfant du divorce

De nombreux auteurs ont passé aux cribles le monde de l'enfance. Que l'on pense à Claire Martin avec Un gant de fer et à Sylvain Trudel avec La Terre du roi Christian. Les enfants ne peuvent pas toujours se fier aux adultes pour vivre en toute sécurité affective. Ils doivent souvent compter sur leurs propres moyens. Si leurs jeux semblent empreints de candeur, ils n'en sont pas moins signifiants pour dédramatiser les situations auxquelles ils sont confrontés. Dans un contexte perturbant, les toutous ou autres objets d'affection jouent un rôle stabilisateur indéniable, comme la poupée d'Angéla dans le roman d'Isabel Vaillancourt. La Cause des enfants de Françoise Dolto rappelle qu'un esprit vierge enregistre tout de son vécu. La réalité est réinterprétée selon des grilles oniriques qui laissent les enfants perplexes. C'est le cas de l'héroïne de La Corde à danser de Nathalie Loignon. Le titre est très significatif de l'âme enfantine. Le ludisme relève d'un symbolisme aussi fort que la tête de mort affichée sur les contenants de produits toxiques.

La fillette de ce roman livre sans linéarité des pans de sa vie d'enfant du divorce. Une vie sans amarres à laquelle elle tente de repérer un arrimage acceptable. Objectif difficile quand on doit partager la solitude d'une mère dépressive. Mais grâce à une grand'mère et à des photos abîmées, elle se découvre une filiation qui l'enracine à un monde rural et aussi à la condition féminine marquée par l'abandon. Ce n'est pas à l'école qu'elle colmate les lacunes. Elle est la tête de Turc de ses pairs. Pour suppléer à son manque affectif, elle s'attache à un garçon handicapé qu'elle est obligée par son institutrice d'aider aux toilettes. En dehors de ce monde frappé de fortes contingences, elle compte un père vivant en Europe, dont elle comble l'absence en cultivant certains flashes des moments heureux qu'elle a vécus avec lui.

En somme, ce roman dresse l'itinéraire d'une fillette stoïque qui s'est fait voler son enfance. En respectant l'âge de l'héroïne, l'écriture se démarque par un modernisme très étudié qui saura autant plaire que déplaire.