Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Bédard, Jean.

La Femme aux trois déserts. Éd. VLB, 2005, 248 p.

L'Idéal américain

Une pauvre orpheline anglaise se laisse approcher par un Américain, qui espère affranchir l'humanité de ses contingences grâce aux nouvelles découvertes. Les projets de ce mentor séduisent Mary au point de le suivre en Amérique avec, pour seul bagage, un cahier noir reçu de sa défunte mère. Elle s'embarque donc en 1851 sur un bateau à destination de New York. La mer semble caressante jusqu'à ce que se lèvent des vents qui se jouent de ce navire soi-disant insubmersible. Rescapée miraculeusement de ce naufrage, elle aboutit à Little All, un petit village maritime du Massachusetts, où elle marie un homme d'affaires fortuné.

C'est la trame sur laquelle Jean Bédard s'appuie pour brosser le tableau d'une femme partagée entre la liberté, l'amour et le désir du pouvoir. Mary traverse plusieurs déserts avant d'établir ses priorités. Il est tentant de devenir puissant pour soi-disant combattre le mal. Les princes de ce monde tiennent un langage enthousiasmant en promettant de réduire les écarts sociaux. Au pays de la compétitivité, les idéaux se teintent rapidement de machiavélisme. Détruire pour mieux régner devient rapidement la devise de ceux qui s'impliquent au niveau économique. Pour Mary se pose le dilemme d'une décision déchirante : laisser son mari pour renouer avec un art de vivre imprégné de sagesse. Le pasteur de Little All et la lecture du cahier noir de sa mère orientent ses affects vers autrui. Les projets individuels, résultant même d'une éthique politically correct, prennent trop souvent le pas sur les valeurs collectives pour que l'héroïne continue d'y donner son aval.

En somme, Jean Bédard dénonce l'esprit de cow-boy qui a présidé à la naissance du pays des rêves les plus fous. À son habitude, il exploite la logique des contradictions pour qu'apparaisse la voie à suivre. La mer omniprésente dans l'œuvre invite tous les rêveurs d'un monde meilleur à prendre un nouveau départ qui s'aligne sur le sermon des béatitudes. Le discours social de l'auteur passe la rame plus facilement que celui de ses autres romans. Il s'en est tenu davantage à l'art romanesque et à une écriture plus poétique pour traduire les sentiments d'une jeune femme en quête d'idéal.