Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Pariseau, Monique.

La Fiancée du vent.
Éd. Libre Expression, 2003, 396 p.

Marie-Josephte Corrivaux, sorcière

Louis Hémon a louangé le modèle de la femme québécoise avec son personnage de Maria Chapdeleine. Depuis la publication de ce roman en 1910, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Anne Hébert a brossé dans Kamouraska le portrait d'une femme qui veut se libérer, commandant même l'assassinat de son mari pour y arriver. Marie-Josephte Corrivaux, un personnage historique qui habitait le village de St-Vallier au moment de la conquête anglaise en 1763, n'avait pas le cran de l'héroïne d'Anne Hébert, mais elle ne manifesta pas moins son mépris pour les conventions qui obligeaient la femme à l'effacement pour laisser toute la primauté à son mari.

La Corrivaux, comme on l'appelle, paya de sa vie les distorsions au code régissant la conduite féminine. Le curé Leclair qui l'aimait bien l'avait avertie d'être plus réservée afin de se protéger des bobards des paroissiens. Elle les défia et continua de chevaucher sa jument à cru (sans selle) pour se promener le long du fleuve, de danser avec des partenaires autres que son mari. Il n'en fallait pas plus pour se créer une réputation de femme de mauvaise vie, voire de sorcière quand elle refusa de croire que le passage des perséides était une manifestation diabolique. La population était loin d'accepter sa singularité, surtout quand elle s'est aperçue que la discorde régnait entre les gendres et le père de Marie-Josephte. À la suite de la mort violente de son second mari, les soupçons se portèrent infailliblement sur lui et sa fille. Arrêtés, ils furent accusés de meurtre devant une cour martiale composée d'un jury anglophone. Mal servis par la justice des nouveaux conquérants anglais qui avaient besoin d'exhiber leur autorité pour faire régner l'ordre au Canada, ils furent évidemment condamnés à la potence.

La légende déforma tellement cette histoire que l'héroïne est encore considérée comme une sorcière qui tua ses sept maris alors qu'elle n'en eut que deux. Il est heureux que Monique Pariseau remette la pendule à l'heure. Elle se sert de son personnage pour démontrer que le féminisme a sa raison d'être. Dans ce roman, il faudrait surtout voir que le sort de la Corrivaux, comme celui de Louis Riel, découle de la bêtise humaine et que l'événement rapporté s'insère dans le cadre d'une colonisation menée par de nouveaux maîtres beaucoup plus préoccupés d'asseoir leur pouvoir que de rendre justice.

Monique Pariseau a choisi des protagonistes qui ont réellement joué le rôle qu'elle leur assigne. Il ne s'agit pas d'un cours d'Histoire déguisé en roman. L'équilibre entre l'historicité des faits et l'art romanesque est assuré par un suspense axé sur la vie de Marie-Josephte. L'auteure ne s'attarde pas aux digressions caractéristiques du genre. Elle se montre même expéditive malgré les 400 pages du roman qui restituent toute la personnalité de cette villageoise de St-Vallier. Attachée à la nature de ce coin de pays, elle aime le vent venant du fleuve, les animaux et les emblavures. Elle ne veut pas s'affranchir des exigences de la vie agricole, elle veut se libérer des ornières dans lesquelles on veut l'enliser.

Ce roman émouvant est bien écrit et bien construit. En fait, tout le drame découle de l'achat d'une jument rétive et de la mauvaise foi de ceux qui préfèrent la cécité à la vérité.