Paul-André Proulx

Littérature Québecoises


Séguin, Marc

La Foi du braconnier.
Éd. Leméac, 2009, 150 p.

Pont entre soi et l’Amérique

Issu d’un métissage blanc et mohawk, Marc S. Morris cherche sa voie dans cette Amérique qui le déçoit tant. Sans cesse éperonné par ses pensées identitaires, il mène, pendant dix ans, une quête épuisante, qui le décide à rendre l’âme. Son acte manqué l’oblige à s’accrocher à une bouée qu’il trouve en Emma.

Quête amoureuse, précédée d’une quête spirituelle menée au séminaire de Montréal afin de se consacrer à la prêtrise sous le patronage d’un évêque avec lequel il entretient des liens amoureux. Cet éminent prélat lui indique le sentier à suivre dans une lettre qu’il lui envoie avant de mourir. Avoir la foi du charbonnier, en l’occurrence du braconnier, mettrait fin à ses tourments. C’est ce qu’il croit, mais le chasseur en lui l’amène ailleurs « pour ne pas tuer des hommes ». La chair des caribous et des canards ira mijoter dans les chaudrons du restaurant qu’il ouvrira pour subvenir aux besoins de sa femme et de sa fille. La cynégétique sert d’ailleurs de toile de fond à ce roman instructif sur l’art de dépecer le gibier et de l’apprêter. Quel délice que « les tripes de chevreuil mijotées avec des bébés choux de Bruxelles à la menthe » !

Homme entier, il fonce dans la vie pour satisfaire ses impulsions primaires, qui le conduisent aux quatre coins de l’Amérique en parcourant avec son pick-up le trajet qu’il a tracé sur une carte géographique. Trajet marqué par un fuck you qu’il avait écrit pour se soulager de son mal de vivre. Le f se trouvant quelque part dans l’Ouest canadien et le u, situé en particulier entre Maniwaki et la Baie James, où il se rend pour chasser. Road novel qui s’effectue au rythme de la musique de Cohen et de réminiscences littéraires. Cette course calme sa conscience devant le combat de la vie qu’on ne peut livrer sans aimer. Aimer une femme « comme une prière qui se serait réalisée. ». Aimer pour ne pas se sentir comme le fruit d’un continent corrompu.

En somme, sans palliatifs comme les religions, ce héros à moitié autochtone veut se construire un pont entre son monde intérieur et son américanité. Pas l’Amérique de Joe Dassin avec « tous les sifflets des trains, toutes les sirènes des bateaux » qui chantent « la chanson de l’Eldorado ». Son discours lyrique est frappé à l’effigie de la testostérone. Sans la puissance évocatrice d’une langue crue et d’une écriture vive, le roman serait un buffet présenté sans liens entre les mets. Mais il gagne en crédibilité avec la révolte authentique d’un homme conscientisé, qui développe sa résilience en dépit de la mort parce qu’il a entrevu la beauté du monde à travers une toile de Titien.