Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Tremblay, Lise.

La Héronnière. Éd. Leméac, 2003, 109 p.

La Chasse aux outardes

Les villages du Québec se vident de leurs forces vives. Il ne reste personne pour assurer la relève des paysans qui, naguère encore, étaient fiers de leurs fermes, mais dont la rentabilité est devenue bien aléatoire dans un contexte de mondialisation. Le départ des jeunes vers les grands centres urbains a détruit le tissu social. Comme l'ennui s'est installé, seuls les vieux et les baby-boomers nouvellement retraités habitent ces villages fantômes. Pour ces derniers, c'est le mouvement inverse qui s'est produit. Ils ont quitté la ville pour s'établir à la campagne, où la force du nombre oblige les villageois restants à modeler leur vie sur celle de ces touristes permanents. Lise Tremblay présente cette situation en quelques nouvelles, toutes reliées à un village transformé en cimetière vivant. Seule la chasse aux outardes, maintenant appelés bernaches du Canada, ressuscite quelques âmes asservies à la manne apportée par cette activité sportive, qui ne dure que deux maigres semaines en automne.

L'auteure brosse un tableau de ces royaumes, dont l'attrait principal est passé de l'église paroissiale à la pourvoirie créée pour faciliter le séjour des amants des oiseaux venus pour les abattre. Après leur départ, la vie reprend son cours comme un long fleuve tranquille, empressé de receler sous ses eaux les bavures commises par ces chasseurs dans l'âme, qui ont profité aussi de leur passage pour suivre la trace de toutes les Bovarys. Plus d'une est devenue la proie de ces prédateurs invétérés. Les maris ne se formalisent pas trop de cette chasse amoureuse pratiquée dans les petits villages, où la promiscuité exige la discrétion la plus totale pour protéger un tant soit peu sa vie privée.

Les plus jeunes se révoltent parfois contre cette situation. Pour se venger, ils criblent de balles les espèces protégées comme le grand héron, oiseau qui envahit les marais bordant les cours d'eau. Ou encore, quand l'exaspération est à son comble, ils se transforment en tueurs pour éliminer les chasseurs de cœurs en peine, surtout quand il s'agit de celui de leur mère. Quand la vie sociale est tissée uniquement autour des besoins de quelques privilégiés, soit les chasseurs et les retraités fortunés, la violence meurtrière devient l'arme favorite pour exprimer son mécontentement.

Ce recueil de nouvelles ressemble à un roman. Ceux qui n'aiment pas le genre à cause de sa disparité pourront quand même apprécier La Héronnière. Lise Tremblay ne traite que d'un seul sujet. Il s'agit de la chasse aux outardes dans les villages du Québec. Avec une plume efficace et dépouillée, l'auteure a voulu souligner les malaises engendrés par la dévitalisation des petites agglomérations soumises à des activités économiques de courte durée. Malheureusement, son œuvre lui a attiré la malveillance de la population au point de devoir quitter l'île où elle habitait.