Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Labrèche, Marie-Sissi

La Lune dans un HLM
. Éd. du Boréal, 2006, 251 p.

Le Mal de mère

À l'instar de Christine Angot et de Nelly Arcan, Marie-Sissi Labrèche se sert de l'auto-analyse pour créer l'héroïne de ses romans. Que cette dernière soit l'alter ego de l'auteure m'indiffère. Ce qui compte, c'est que La Lune dans un HLM confirme son talent indéniable d'écrivaine.

Comme ses consœurs, elle s'est lancé le défi particulièrement douloureux d'apprivoiser les monstres qui se dressent sur son chemin. D'aucuns y tournent le dos pour ne pas accroître le mal qui les ronge. Chez Marie-Sissi Labrèche, pas de faux-fuyants. Elle a le courage de s'aventurer sur un terrain miné par Œdipe afin d'analyser le sol contaminé de son existence. Par sa mise en abîme volontaire, Léa, l'héroïne de 23 ans, espère trouver le bonheur de vivre malgré les relations morbides qu'elle entretient avec sa mère paranoïaque. Comment pourra-t-elle s'en détacher tout en conservant son amour pour une femme qui l'a vampirisée ? C'est le dilemme qu'elle tente de régler au profit de chacune. Autrement dit, elle veut fuir le mal de mère pour ne pas hériter de l'univers pathologique de sa génitrice, sans pour cela élargir le fossé entre elles. La générosité de l'héroïne est exemplaire d'autant plus que les victimes de la paranoïa sont aussi inaccessibles que ceux qui souffrent de la maladie d'Alzheimer.

Le découragement sonne souvent à la porte de Léa, mais elle tient le cap en misant sur la peinture comme planche de salut. Incapable de profiter de la lumière de la lune, figure maternelle en astrologie, elle se guide dans sa traversée du désert grâce à Picasso, dont le titre des toiles devient celui des chapitres du roman. Pour ajouter à l'exaspération de l'héroïne, la dynamique psychologique est dédoublée par la pauvreté à laquelle le titre fait référence. Les protagonistes habitent un HLM infesté de coquerelles. Ce cadre insalubre porte un dur coup à la dignité humaine. C'est la bouée de sauvetage à laquelle s'accroche Léa pour ne pas couler à pic. S'en sortira-t-elle? C'est le suspense choisi pour nous mener sans ennui jusqu'au dénouement.

Cette histoire d'amour filial contrarié par la haine est des plus poignantes. L'écriture lapidaire de l'auteure accroît nos malaises devant l'état lamentable de la situation qu'elle décrit. Chevauchant entre le " il " narratif et le " je " épistolier, Marie-Sissi Labrèche pose différents miroirs pour s'apprécier avec justesse sous tous les angles, mais surtout pour survivre à sa mère, à l'instar de Diane-Monique Daviau dans Ma Mère et Gainsbourg. Ce roman éclaire en fait l'horizon de tous ceux qui cherchent une voie pour évacuer leur révolte.