Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Poitras, Marie-Hélène.

La Mort de Mignonne. Éd. Triptyque, 2005, 169 p.

Des animaux et des hommes

Le passage biblique d'Adam et Ève nous a fait connaître la perte du paradis. Au cours des siècles, les romanciers se sont évertués à nous le rappeler. Marie-Hélène Poitras s'inscrit dans cette lignée en illustrant comment la chute paradisiaque se traduit au quotidien. Si le premier couple humain a inventé le g-string avec une feuille de vigne, l'un des personnages du recueil de nouvelles l'a abandonné sur un parcomètre de Montréal.

Voulait-elle s'affranchir des conséquences du péché originel? L'histoire ne le dit pas, mais, à travers cette œuvre, nous sentons notre incapacité à nous réapproprier le jardin d'Éden. Chacun réalise son impuissance à sauver sa virginité au sens élargi du thème. La vie corrompt, comme l'a déjà écrit Jean-Jacques Rousseau. Le mensonge et la sexualisation créent une atmosphère malsaine qui contribue à la perdition de l'humanité.

Cette vision prométhéenne du monde est associée à des images fortes, qui s'appliquent également au règne animal comme l'illustre le cachalot trouvé près des berges de la rivière Bleue pour ne pas dire Brune. À la menace d'extinction des espèces s'ajoute le désespoir des humains qui envisagent de plus en plus la mort comme solution à l'instar du cheval venu mourir sur un terrain de base-ball abandonné de l'est de Montréal, où, naguère, les dieux du stade alimentaient tous les espoirs.

Avec une langue châtiée, mais conventionnelle, l'auteure de trente ans dresse le bilan de sa perception du monde à laquelle l'a conduite le premier tiers de sa vie. Comme Nelly Arcan, elle déplore la défloraison des idéaux. Les deux écrivaines ne lèvent pas les yeux au ciel pour se consoler. Marie-Hélène Poitras a troqué les prières pour les chansons de ses interprètes favoris, les nouveaux saints qui s'occupent davantage de leur succès que de servir de modèles à leurs pairs. Même si la verticalité est absente du recueil, c'est quand même un beau Requiem profane.