Paul-André Proulx

Littérature Québecoise

Kattan, Naïm.

L'Anniversaire. Éd. Québec Amérique, 2000, 164 p.

Enracinement d'un historien syrien en sol québécois

L'Anniversaire est le roman le plus réussi, selon moi, de Naïm Kattan. Il s'agit de la vie de René Shems, un historien de carrière, spécialiste de l'histoire de la Nouvelle-France. Après qu'on eut souligné ses longues années de service, il écrit à certains invités venus participer à cette fête en son honneur. Cette oeuvre est composée d'une série d'onze lettres dans lesquelles il raconte ce qu'il est devenu tout en évoquant l'œuvre qu'il a accomplie.

Dans sa première lettre, il rappelle son enfance passée entre des parents qui l'ont trimballé d'une ville à l'autre : Alep où il est né, Sao Paolo, New York où il a étudié et enfin Montréal. Il tente de dégager ce qui lui est resté de cette vie de touristes, qui éloigne souvent d'une existence pleine et entière. Comme chercheur, il a gardé une grande modestie en s'en tenant aux faits historiques pour ne pas les dénaturer avec des interprétations qui relèvent plus de la psychologie de l'auteur que de la rigueur scientifique. Au niveau affectif, il a mené une vie en dents de scie. Il ne fut heureux qu'avec son amante; avec sa femme et sa fille, il a vécu à couteaux tirés. Ainsi il dévoile toute son intimité pour finalement se rendre compte qu'il a négligé le " gnôthi seauton " de Socrate. (Connais-toi toi-même.) Il en sait davantage sur les gens de son pays d'adoption, lesquels l'inspirent pour leur lutte à survivre dans une mer de 325 millions d'anglophones contre six pour les francophones.

Au fait, son travail de chercheur n'aura été qu'une manière de fuir la réalité. Dans le temps qui lui reste à vivre, il réalise qu'il doit découvrir son vrai visage, celui que lui a destiné sa Syrie natale. D'aucuns viennent de nulle part. Il ne peut choisir d'être son propre dieu sans risquer de se réduire à une ombre errante. Cette oeuvre montre fort bien la complexité de l'être humain. La fuite en avant ne peut échapper à ses arrières. Et il l'apprend à ses dépens. Ce roman est la méditation d'un auteur qui a l'âge vénérable de son héros pour ne pas dire qu'il en est son sosie.