Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Blais, François.

La Nuit des morts-vivants. Éd. L'Instant même, 2011, 174 p.

Vivre à distance

Le roman illustre la pensée de Schopenhauer. Le vivre ensemble se bute à la souffrance. Pour s'en tirer, il faut emprunter l'art de vivre des porcs-épics. À cause de leurs piquants dorsaux, ils se tiennent à une certaine distance l'un de l'autre pour éviter les affres de leurs défenses.

Les personnages ont adopté leur comportement. À l'instar des dits rongeurs, ce sont des noctambules, qui occupent leur nuit, comme l'indique le titre, à visionner des films de morts-vivants. Ce n'est pas la version littéraire du film Night of the Living Dead de George A. Romero. Le soir venu, Pavel et Molie louent séparément des films comme Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, lequel a été interdit dans de nombreux pays. En fait, ils se passionnent pour tout ce qui glorifie la mort violente. C'est le piquant de leur vie sans histoire.

Les deux protagonistes vivent comme des anachorètes. Molie, qui habite avec sa sœur, n'a volontairement pas d'emploi. Avant de regarder des films d'épouvante, elle se trimballe dans les rues de Grand'Mère, en particulier la Sixième avenue, rue principale de la ville. Pavel travaille de nuit chez Maintenance des chutes, un magasin à grande surface. Il a un seul ami, Henrik, avec qui il va prendre parfois un pot dans un troquet ou avec qui il se livre à des jeux vidéo. Molie et Pavel ne se connaissent pas même s'ils louent leurs films au même endroit. Par contre, tous deux ont lu Middlemarch de George Eliot, un chef-d'œuvre de l'époque victorienne qu'ils ont trouvé ennuyeux, mais qu'ils ont lu quand même. C'est sans compter qu'ils tiennent également un journal, où ils confinent les aléas de leur journée.

Si la banalité compose leur vie, il n'y a rien de banal dans ce qu'ils vivent. Quoiqu'ils fuient leurs semblables, ce sont de fins observateurs d'un entourage qu'ils ne jugent pas. Ils mettent en pratique l'enseignement de Schopenhauer. D'ailleurs tous les personnages sont des épigones de ce philosophe. Anna laisse Henrik et la sœur de Corie veut éconduire son amoureux de Nicolet. Question de garder ses distances. C'est le prix du bonheur.

Le roman est construit à l'image de cette vision d'une vie coupée d'autrui. Comme un diptyque, le roman laisse en alternance la parole à chacun des narrateurs, soit Pavel et Molie. Et les deux narrations ne débouchent pas sur une seule avenue. En fait, l'auteur s'amuse beaucoup de leur conduite de reclus. L'expression scripturale porte la marque d'une parodie des jeunes des temps modernes. Alors que la technologie s'applique à combattre la solitude, l'agoraphobie règne en maître sur le cœur de ceux qui craignent de se piquer en se frottant aux autres.

Le portrait est apparemment peint avec une plume ébréchée. Molie écrit sans points ni virgules, et Pavel ne se tourmente pas à cause de son style. Et pourtant le roman a de la gueule. Les jeunes lecteurs s'en amuseront beaucoup. L'œuvre leur est affectueusement destinée. Sa lecture sera pour eux un bon exercice d'autodérision.