Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Soucy, Gaëtan.

La Petite Fille qui aimait trop les allumettes. Éd. du Boréal, 1998, 180 p.

Le Salut par le verbe

Le Moyen-Âge connaît un regain de popularité auprès du lectorat. Quiconque écrit un roman sur le sujet est presque assuré de connaître le succès. Romans médiévaux, romans gothiques, peu importe l'expression employée, ces œuvres inondent les présentoirs des librairies. Certains y cherchent le côté merveilleux de cette époque marquée par la crédulité, d'autres y trouvent leur compte en satisfaisant leur besoin de connaissances, d'autres, enfin, tentent de pénétrer la philosophie qui a pétri les âmes assoiffées de transcendance.

En exploitant ce dernier aspect, Gaëtan Soucy a écrit une oeuvre qui outrepasse le premier degré de lecture, comme c'est le cas pour La Métamorphose de Kafka ou Les Fables de La Fontaine. L'auteur s'est inspiré de l'esprit d'une époque pour transposer ses préoccupations existentielles. En fait, il a concocté une longue nouvelle allégorique qui plonge les protagonistes dans un univers primaire où un veuf s'isole dans son domaine à la suite de la mort de sa femme. Incapable d'en assumer le deuil, il sombre dans les abysses de la démence. Ses enfants, laissés à eux-mêmes, sont obligés de se donner une éducation pour apprivoiser le monde à partir des rares livres qui traînent dans le manoir. La situation s'aggrave quand ils trouvent leur père pendu. C'est le canevas sur lequel Gaëtan Soucy brode un monde qui n'appartient qu'à ceux qui ont la maîtrise des mots. On comprend que, comme écrivain, il choisisse ce moyen pour assurer la rédemption de ses héros. En somme, la question qu'il pose est simple : comment assurer le salut de l'humanité? L'auteur peaufine sa réponse en calquant la philosophie de Spinoza. Son roman véhicule un message qui prône la libération par la connaissance à travers la servitude de deux adolescents soumis à leur père, mais aussi à leur ignorance. Ils doivent tout apprivoiser de l'existence. La mort d'abord, la féminité et l'amour ensuite. Il n'est pas facile de cheminer vers la liberté. Et cheminer vers la liberté, c'est aussi s'ouvrir aux autres.

L'emballage fort original de cette œuvre profonde cache plein de surprises. Dans son grimoire, l'un des jeunes confiera le quotidien de la famille avec la seule lettre L. C'est rempli de trouvailles qui font sourire ou qui émeuvent. Malgré la gravité du sujet, les protagonistes ont une tendance à la béatitude à l'instar du philosophe déjà mentionné. L'écriture tout imprégnée de l'esprit d'un temps ancien s'ajuste adéquatement à l'âge des enfants. Ceux qui sont familiers avec l'écriture de Rutebeuf et le Roman de Renart apprécieront les expressions de Gaëtan Soucy, expressions enrichies de québécismes. Cette œuvre sublime et exigeante comme celles de William Faulkner peut nous faire faire des grimaces. Mais l'auteur nous rassure en écrivant que l'" on ne montre pas à un vieux singe à faire de la philosophie ".