Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Tremblay, Michel

La Traversée du continent. Éd. Leméac, 2007, 284 p.

La Tournée de la parenté


Les œuvres de Michel Tremblay rendent souvent hommage à la famille. Famille embrasant tantes, oncles, cousines et grands-parents. Dans La Traversée du continent, l'auteur les réunit tous pour accueillir l'héroïne à chacune des principales gares où le train s'arrête. Originaire des Prairies, chacun s'est dispersé à travers le Canada, de Regina à Montréal.

C'est à Maria en Saskatchewan que Rhéauna, une fillette de dix ans, vivra son enfance après être née au Rhode Island en 1902. Devenue orpheline d'un père qui a péri en mer, elle est confiée à ses grands-parents ainsi que ses deux sœurs. La mère, ne pouvant subvenir à leurs besoins, s'installe à Montréal pour y gagner sa vie. Il semble que cette ville lui ait porté chance. Quelques années plus tard, elle rapatrie ses enfants en commençant d'abord par l'aînée. Nous suivons le périple de Rhéauna, qui s'amène au Québec en traversant presque tout le pays. Lors des haltes du train, elle a l'occasion, le temps d'une soirée, de fraterniser avec sa parenté.

La fillette s'initie ainsi à l'histoire familiale avec ses grand-tantes, qui en profitent pour lui livrer un pan significatif de leur vie. Les secrets qu'on lui dévoile développent son appartenance à un clan francophone de l'Ouest canadien. Si elle ne sait pas ce qui l'attend à Montréal, du moins son voyage aura peaufiné son apprentissage, voire même ouvert son esprit aux secrets de la sexualité. Aux contacts de ces femmes expérimentées, elle fourbit ses armes pour répondre aux problèmes qu'elle aura à affronter dans un second tome annoncé à la dernière page du roman.

Le volet de la filiation fournit les meilleurs passages de l'œuvre quoique les portraits de famille perdent de leur crédibilité par leur caractère excessif. À l'instar d'Amélie Nothomb, Michel Tremblay exploite à outrance cet aspect de la personnalité de ses personnages. Par leur excentricité, tous sont, à des degrés divers, des copies de la duchesse de Langeais. Ça devient lassant à la longue. Chaque rencontre de Rhéauna se déroule dans ce contexte déplaisant même s'il peut lui servir d'étalon pour se jauger à l'instar de l'héroïne de L'Apprentissage de Madeleine Ouellette-Michalska. Cette œuvre tout aussi futile que celle de Michel Tremblay, a le mérite, au moins, de se limiter à ce qui est nécessaire pour illustrer le sort de la femme. Il reste l'amour familial, que l'on a de la difficulté à exprimer, mais qui parvient à se pointer. Encore là, comment des gens peuvent-ils s'attacher si vite à une fillette qu'ils ne connaissent pas ?

En fait, la tournée de la parenté fournit la facture du roman plutôt que la traversée du continent. Le voyage en train n'occupe pas la place importante qu'annonce le titre. Nous nous serions attendus à ce que ce récent moyen de locomotion cause toute une commotion chez une fillette qui en est à son baptême des rails, d'autant plus qu'elle a été élevée dans un bled perdu. Voyage terne qui ne sent pas le déplacement, hormis la mention des villes où le train s'arrête, du lac Supérieur et du Château Laurier, construit depuis peu près du Parlement d'Ottawa. Ce roman d'époque se signale surtout par sa pauvreté que le talent de conteur de Michel Tremblay ne parvient pas à maquiller. Bref, le premier jalon de la série illustre assez mal l'amont qui fera de l'héroïne la femme de demain. Comme traversée du Canada, mieux vaut lire Volkswagen Blues de Jacques Poulin.