Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Farhoud, Abla.

Le Bonheur a la queue glissante. Éd. de l'Hexagone, 1998, 175 p.

La Vieillesse d'une Québécoise d'origine libanaise

Abla Farhoud raconte l'histoire d'une famille libanaise qui s'est installée d'abord à Terrebonne à huit km de Montréal, puis finalement dans la métropole. L'auteure n'oriente pas le projecteur vers les problèmes identitaires des exilés. Comme le dit Dounia, la grand'mère, " mon pays, ce n'est pas le pays de mes ancêtres, ni même le village de mon enfance, mon pays, c'est là où mes enfants sont heureux. "

Cette figure centrale du roman rappellera à plusieurs la grand'mère qu'ils ont eue, peu importe son origine ethnique. C'est la femme en elle que l'auteure fait ressortir, de sa jeunesse à sa mort. Mariée à un homme ambitieux qui l'a frappée à coup de pied avec l'assentiment de son propre père alors qu'elle était enceinte, elle apprit vite que sa vie la prédestinait à jouer les seconds violons à ses risques et périls. Elle ne s'apitoie pas sur son sort, mais elle déplore le manque de dignité dont la femme est l'objet. En guise de compensation, elle gâte ses enfants et ses petits-enfants en les gavant des mets qu'elle sait le mieux cuisiner. Son amour maternel se manifeste surtout à l'égard de son fils, autour duquel tourne le suspense du roman.

On n'est pas ingrats envers elle, car on lui promet lors d'un dîner familial au restaurant de la soutenir jusqu'à la mort alors qu'elle évoque cette éventualité. Mais elle sait bien que la tiédeur affadit les promesses les plus fermes. Elle espère tout au moins mourir avant de perdre son autonomie. En attendant sa fin prochaine, elle s'évertue pour transmettre, à ses enfants et ses petits-enfants qui n'ont pas appris l'arabe, les maximes libanaises qui lui ont permis de garder le cap même si le bonheur a la queue glissante comme un poisson.

C'est un beau roman de la vie au féminin. Ce n'est pas pessimiste, car Dounia fournit plein de raisons d'être heureux même si le destin s'est amusé à ses dépens. Il se dégage quand même une impression de tristesse quand on voit cette femme dévouée mourir dans l'indifférence des siens. Avec une plume alerte et pudique, l'auteure dévoile les secrets intimes d'une Arabe qui ne demandait pas grand-chose à l'existence. Son oeuvre restera comme un bel hommage de reconnaissance aux femmes qui ont vécu la solitude à l'ombre d'autrui.