Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Chabot, Sébastien

Le Chant des mouches. Éd. Alto, 2007, 162 p.

L'Agonie des régions

Le Chant des mouches nous plonge au cœur d'un village fictif de la Matapédia, très révélateur de la mentalité qui caractérise les régions à l'échelle nationale. L'auteur exhibe une population qui se rive avec acharnement à ses discordes. Quand l'atmosphère se lénifie quelque peu, d'aucuns s'empressent de tourner le vent pour que se perpétuent les disputes qui les divisent. Tout mouvement qui favoriserait des accommodements raisonnables est contrebuté avec fermeté.

Cet esprit d'affrontement caractérise Sainte-Souffrance, situé en bordure de la rivière Matalik. La toponymie ne peut être plus juste. Les villageois se divisent en deux clans, qui entretiennent des rapports haineux en raison de l'interprétation qu'ils donne de la disparition de leur église. Celui des torpilleurs soutient qu'elle a explosé en laissant un trou béant. Celui des flotteurs croit plutôt qu'elle fut emportée par la crue des eaux. Ces prémisses irréconciliables ont créé deux ghettos, situés de part et d'autre de l'ancien emplacement de leur lieu de culte. Comment raccommoder une population ainsi déchirée? Rien de mieux pour refroidir les esprits échauffés que de favoriser la solution de la " pépine ". On décide donc de construire un pont, comme à la belle époque de Maurice Duplessis. La nouvelle structure aura-t-elle l'effet escompté? Voilà le dilemme. En tout cas, deux orphelins de la paroisse y croient dur comme fer, le curé et un musicien, qui a composé Le Chant des mouches, une œuvre que l'on jouera le jour de son inauguration.

Aucune rédemption ne se profile dans la bourgade. Certains habitants de Sainte-Souffrance (les Souffretins) envisagent même de s'établir au Nouveau-Brunswick, d'autant plus que la Holy Grail Incorporated, la seule entreprise du village, a fermé ses portes, sans compter la perte de leur église, où, au moins, leurs croyances les rassemblaient. Dépouillés de leurs points de repère, ils attendent un messie, dont Madame Lamproie s'empresse de tenir le rôle avec les " zeureux ", un organisme à but lucratif qui profite de la manne créée par ce vacuum. L'auteur décrit bien ce milieu de vie saigné de sa substance sans que le pouvoir politique ne lève le petit doigt pour stopper l'hémorragie. Comme La Héronnière de Lise Tremblay, ce roman sonne le glas des clichés favorables aux soi-disant havres de paix de nos régions.

Pour édulcorer son constat, Sébastien Chabot emprunte la voie d'un conte, qui n'en précise pas moins les enjeux dont dépend l'avenir des villages du Québec. Avec une écriture soignée, il montre, avec brio et humour pour ne pas en pleurer, comment on se tire dans le pied. En fait, il prend le contre-pied de Fred Pellerin, qui présente Saint-Élie-de-Caxtion comme un village où il fait bon vivre.