Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Milicevic, Ljubica.

Le Chemin des pierres. Éd. Leméac, 2002, 188 p.

Les Dommages collatéraux

Ljubica Milicevic est née dans l'ex-Yougoslavie. Immigrée au Québec, elle a fait publier deux œuvres, écrites directement en français. Son dernier roman rappelle son passé et ses liens avec ceux qu'elle a aimés. Malheureusement son retour au pays natal coïncide avec l'éclatement de la guerre.

Mala, l'héroïne du roman, est l'alter ego de l'auteure. À l'occasion de la mort de sa mère, les autorités serbes n'accordent à cette femme de la terra nostra qu'un visa de cinq jours. Elle compte quand même sur sa visite éclair pour renouer avec un père qu'elle admire et un ami d'enfance devenu peintre. Le premier volet de ce diptyque résume ce que fut l'enfance et l'adolescence de Mala. On s'attarde surtout à ce qui a uni l'héroïne à ce garçon, dont le talent d'artiste s'est manifesté très tôt.

Quel contraste à son retour dans sa patrie malgré la grisaille qui planait déjà avant son départ! L'héroïne retrouve un père amaigri et habillé en lambeaux alors que son ami d'enfance est en fuite à cause de la stupidité d'un régime soupçonneux, plus apte à susciter " l'orage des hommes " qu'à sauvegarder la richesse culturelle d'un pays composé de musulmans, d'orthodoxes et de catholiques. Naguère, les minarets et les clochers faisaient bon ménage. Inspirés par une nouvelle raison d'état, les dirigeants sèment la confusion en voulant raffermir leur pouvoir. Dans le chaos, plusieurs se transforment en " snipers ", des tireurs fous qui font feu sur tout ce qui se présente dans leur mire. Échapper aux balles devient ainsi le nouveau sport pratiqué à Sarajevo, la Jérusalem des Balkans, où le stade est devenu le cimetière des innocentes victimes.

C'est la tragédie de Sophocle servie à la moderne. Et encore une fois, les Antigones, qui réclament un peu de sagesse, ne rencontrent que de sourds interlocuteurs. On fuit de toutes parts, y compris son ami Valentin et sa famille. Ils empruntent le chemin des pierres, la route qui mène au pays des ancêtres paternels, des Bogomiles, ceux-là qui ont donné naissance aux Cathares. Mais on n'échappe pas facilement à un destin funeste quand la folie devient la règle de conduite. Comme l'héroïne grecque, il ne reste plus qu'à inhumer les siens à ses risques et périls.

En fait, l'auteure raconte la vie de ceux qui ont subi les " dommages collatéraux ". Quelle expression saugrenue! Et le pire de tous, c'est de perdre ceux que l'on aime. Ainsi la récente guerre des Balkans est venue mettre un terme aux amitiés. L'auteure en donne une brillante illustration avec une plume très concise et très poétique. Elle entremêle, avec une grande habileté, des notes historiques et culturelles pour offrir un bel hymne à la tolérance.