Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Tremblay, Larry

Le Christ obèse. Éd. Alto, 2012, 180 p.

Le Mal régit le monde

Pourquoi Freud n'a-t-il pas fait l'analyse psychanalytique de l'Évangile? Le dramaturge Larry Tremblay s'est livré à cet exercice dans un roman qui revisite les saintes écritures. Son évangile s'est détourné de l'happy end de la Résurrection, qui a mis fin à la souffrance christique. Contrairement au Sauveur de l'humanité, la nôtre nous colle à l'âme, sans l'espérance de ses effets libérateurs. Serait-ce que celle du fils de Dieu soit infiniment supérieure à celle des enfants de Dieu ? Quand on est le fils de Dieu, n'est-on pas aussi son enfant ? Le catholicisme considère la mort comme délivrance contrairement aux grandes religions de l'Inde, qui proposent une vision beaucoup plus saine de notre humanité.

Le Christ obèse s'appuie sur cette toile de fond pour encadrer la réflexion du narrateur Edgar, impliqué dans une œuvre salvatrice. S'étant rendu un soir au cimetière pour rendre hommage à sa mère récemment décédée, il est témoin du viol d'une femme par quatre individus. Sensible à la souffrance d'autrui, il emmène la victime chez lui pour lui prodiguer les soins nécessaires. Soins qui lui révèlent que la robe déchirée qu'elle portait cachait un corps d'homme.

Comme héritier d'une mère plutôt fortunée, le héros, un trentenaire célibataire, peut se consacrer entièrement au service de son protégé qu'il prénomme Jean à cause de l'admiration de sa génitrice pour Jean XX111. C'est le début d'une vie commune, marquée par le silence. C'est un huis clos meublé par les monologues de sourd d'Edgar alors qu'il soigne ou nourrit un corps malade apparemment indifférent. Cette dépendance débouche sur une vie fusionnelle. Comme la tutelle se prolonge indûment, les rôles s'inversent. Jean exerce finalement une emprise sur un bienfaiteur, qui vient de trouver un substitut à la fusion maternelle. Bref, Edgar continue à tisser les liens destructeurs de sa personnalité.

Incapable de se passer d'un suzerain, il devient le jouet d'un Christ obèse à force de se nourrir de son mal de vivre. La religion de la prospérité a marqué ce héros apparenté aux Québécois pratiquants des années 1950, empêtrés dans les plis de la soutane. D'ailleurs, quelle n'est pas la plus belle preuve d'amour que le héros puisse donner à sa mère que de lui promettre de devenir prêtre ! Ce désir d'accéder au sacerdoce entretient son obsession de la fusion qu'il dévie vers le Père qui est dans les cieux. Le Pater noster est sa prière favorite, mais il est persuadé que le " sed libera nos a malo " passera outre à sa demande. Le mal d'une liaison exclusive au prix même de la violence, voire du meurtre.

Larry Tremblay vient de concocter le plus beau thriller psycho-religieux qui soit. Mais c'est un roman pessimiste, qui nous fait désespérer de la vie. Un monstre aux pas de velours sommeille dans le cœur de tout un chacun. L'auteur le démontre de belle façon sans dénigrer la religion. Il reproche plutôt aux églises chrétiennes de nous duper en présentant la mort comme seul moyen de se délivrer. Bref, c'est du grand art.