Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Hamelin, Louis.

Le Joueur de flûte. Éd. du Boréal, 2002, 222 p.

Une papetière dans la mire des utopistes

Louis Hamelin est un écrivain né en Haute Mauricie. Son dernier roman se déroule dans un milieu forestier comparable à sa terre natale. Ce titre rappelle aussi un conte du moyen âge écrit en 1283. Les deux oeuvres évoquent à leur manière la société de leur époque.

L'auteur situe son oeuvre sur l'île Mere au large de la Colombie-Britannique. Une papetière y exploite la forêt alors que la tribu des Onani's revendique la propriété des lieux, appuyée dans sa démarche par des écologistes et des utopistes. Une revendication qui rappelle celle des jeunes qui se réunissent quand les dirigeants politiques se rencontrent au sommet pour régler le sort du monde. Les mêmes affrontements avec les forces policières se produisent sur cette petite île du Pacifique.

Le héros, Ti-Luc Blouin, apparaît dans ce décor bien malgré lui. Il quitte le Québec à la recherche de son père biologique, l'écrivain américain Forward Fuse, alias Mister Big, qui a contribué au contingent d'enfants nés de pères inconnus lors de la mode des communes. Cette rencontre très attendue entre un père et son fils sera retardée par la situation qui prévaut dans l'île. Les écologistes bloquent la route aux bûcherons de la papetière, les Onani's tentent d'empêcher la compagnie d'exploiter la forêt à leurs dépens et les utopistes se barricadent pour réclamer " le meilleur des mondes ". Cette effervescence captera le jeune héros dans les mailles d'un conflit qui ne peut que mal finir. La cupidité n'a point d'oreilles. Félix-Antoine Savard l'avait déjà signalé en 1937 dans Menaud, maître-draveur. Soixante-cinq ans plus tard, Louis Hamelin poursuit le combat.

Finalement, Ti-Luc Blouin rencontre son père. C'est l'occasion pour l'auteur de tracer son parcours utopiste. Qu'est-il advenu de tous ceux qui ont rêvé d'un monde nouveau dans les années 1960? On se rappellera Woodstock, Mai 68, le printemps de Prague. Tous les espoirs étaient permis. Certains ont fait volte-face, mais d'autres ont persisté au grand déplaisir de Francis Fukuyama, qui a fait l'éloge du capitalisme dans La Fin de l´histoire et le dernier homme. Le père du héros est l'un de ceux-là. Réfugié à l'île Mere, il est encore habité par son grand idéal, qui lui vaut le surnom de Mister Big.

Louis Hamelin fait un tour d'horizon de la société nord-américaine avec une justesse incontestable. La spoliation des Amérindiens, la dévastation forestière, la folie et le suicide incitent à une nouvelle mobilisation. On voit le héros appelé aux armes pour défendre finalement le droit à la vie sous toutes ses formes. Ti-Luc Blouin est à mille lieues de ces préoccupations, mais, à l'île Mere, il se sent tiraillé entre son destin particulier et celui de la planète. C'est en somme le dilemme posé par l'auteur. En cela, il est très américain. Il ne voit pas le monde comme des millions de petits destins individuels. Notre identité s'enracine aussi dans un ensemble qui dépasse ce que nous sommes. Ça répond aux critères de la philosophie américaine : une métaphysique incarnée dans un pragmatisme social.

Comme Bryan Brett dans Coyotte, Hamelin laisse entrevoir avec clarté les enjeux de l'écoterrorisme spécifique à la côte du Pacifique. Il y réussit cette fois avec une plume dépouillée de ses oripeaux linguistiques, qui nécessitaient naguère un recours constant au dictionnaire.