Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Laliberté, Annie.

Le Livre de la junte. Éd. des Intouchables, 2004, 155 p.

Les Guérilleros guatémaltèques

C'est en 1997 qu'Annie Laliberté décide de se rendre au Guatemala, un pays en processus de paix après 36 ans de guerre civile au lourd bilan, soit 200,000 morts ou disparus. Elle tourne " le dos à la vie facile pour prendre le risque de connaître un univers totalement déboussolant." Un univers libre de tout embrigadement, panneau difficile à éviter comme le prouvent les reportages de nombreux journalistes gagnés d'avance à la cause des guérilleros. (Sic)

Munie de son havresac, elle se rend près du volcan Tajumulco, siège choisi par les rebelles mayas pour organiser leurs offensives contre l'armée ou encore contre les populations favorables au régime. Grâce à son courage, elle parvient à atteindre un campement de combattants qui l'adoptent illico. Elle a ainsi accès au " commandante " Nery et à de nombreux " camarades ", qui lui donneront leur version de la situation. Pour maintenir le plus d'objectivité possible, elle fréquente aussi des " Ladinos ", lesquels forment la classe aisée composée en grande partie de gens d'origine espagnole. Son parcours favorise son initiation à la problématique guatémaltèque. Elle en tire des conclusions à faire frémir les partisans de la fraternité. L'offensive de paix menée par l'ONU ne comblera, semble-t-il, que les narcotrafiquants et les criminels, qui arraisonnent les autocars - autobus jaunes d'écoliers - pour dépouiller les usagers. On ne se débarrasse pas facilement de la violence quand elle a marqué un mode d'être pendant trois décennies. La preuve en est que la population a porté démocratiquement au pouvoir l'homme de paille d'un dictateur déchu.

Le récit d'Annie Laliberté est empreint d'amour pour ce peuple de martyrs. L'auteure navigue en eaux troubles avec beaucoup de dextérité pour attribuer à chaque camp sa quote-part de responsabilité du drame guatémaltèque. C'est loin d'être une oeuvre exhaustive, mais ça pointe avec justesse les endroits où le bât blesse. Le plus intéressant du Livre de la junte réside dans l'approche du sujet. Cette soi-disant journaliste, titre qu'elle s'est décroché pour son périple, évite la froideur du diagnostic pour faire vibrer toutes les fibres humaines, y compris les siennes. Une blanche québécoise au milieu d'hommes retraités du monde ne peut que faire tourner les têtes, en particulier celle de Julian. La chair est faible, mais la jeune Annie sait garder la tête froide, surtout quand son prétendant l' " amène " - c'est " emmène " qu'il fallait écrire - dans un coin romantique pour lui conter fleurette.

En somme, un récit lucide, bien senti, qui ne dévie pas de son cap, quoique trop court. C'est plus objectif et moins superficiel que Francis à marée basse de Vincent Théberge sur un périple comparable. On peut dire que, comme Ulysse, Annie Laliberté a fait un très beau voyage qu'elle narre avec une plume correcte.