Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Bruneau, Serge.

L'Enterrement de Lénine. Éd. XYZ, 2006, 202 p.

Famille brisée par une séparation

Depuis quelques décennies, le Québec s'est transformé au point de perdre la moitié de ses assises profondes, soit la famille unie envers et contre tous. La tradition a laissé place à des modèles divers pour encadrer les relations familiales. Dans L'Enterrement de Lénine, Serge Bruneau nous en présente un fort répandu. Il s'agit de l'histoire de Charlotte, une adolescente de 16 ans, trimballée de sa mère Alicia à son père Mathieu. La figure maternelle n'apparaît plus comme l'arc de voûte de l'éducation des enfants. Elle incite plutôt à l'indifférence, sinon à la haine larvée ou ouverte comme dans La Belle Bête de Marie-Claire Blais.

Dans ce roman, l'héroïne choisit elle-même le parent avec lequel elle veut vivre. Trop préoccupée par elle-même, la mère se détourne des besoins de sa fille en plein développement. Un bon jour, Charlotte quitte cette chanteuse de bars à qui elle voue un profond dégoût. Elle est déçue de son manque de responsabilité, mais surtout de son incapacité à s'adapter à la réalité. Rêveuse, manipulatrice, Alicia vit dans un passé qu'elle éternise. Pour tourner le dos aux carences maternelles, elle décide d'aller vivre avec son père à la campagne. À un degré moindre, Mathieu se nourrit aussi des jours anciens. Séparé de sa femme, il est toujours prêt à la revoir. Ce couple incapable d'inhumer ses amours mortes enrage leur fille, résolue à ne pas perpétuer leur modèle.

Le message est véhiculé par l'image d'un érable déraciné par le vent que Charlotte tronçonne elle-même afin d'enterrer ses souvenirs reliés à cet arbre qui lui a servi d'accessoire pour ses jeux d'enfant. Le titre aurait dû référer à cette métaphore au lieu de l'enterrement de Lénine survenu des décennies après sa mort pour ne pas déplaire au peuple russe entiché de leur libérateur. Cette incongruité n'empêche pas l'œuvre d'atteindre son objectif. L'invitation de nous couper d'un passé destructeur provient d'une double narration. D'abord, celle du père qui adoucit les angles rugueux que présentent sa fille, et celle de Charlotte qui livre son exaspération de la situation que vivent ses parents et même les voisins. En fait, elle est désespérée par les contributions offertes à leur propre malheur. C'est à travers des tranches de vie anecdotiques, qui finissent en queue de poisson, que l'auteur décrit, sans crescendo et sans soulever la compassion, ce que devient la famille québécoise.