Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Dumontais, Sinclair.

Le Parachute de Socrate. Éd. Hurtubise HMH, 2004, 177 p.

Un existentialisme axé sur la consommation

Machiavel a voulu jadis aider Laurent de Médicis à bien gouverner. Et pour y arriver, écrivait-il au prince, il faut " connaître la nature des peuples ". Ses recommandations découlaient des missions qu'on lui avait confiées, mais surtout de sa connaissance des grands personnages et des oeuvres de l'antiquité. Comme Aristote qui décrivait la tyrannie, Machiavel a décrit une principauté triomphante, faisant fi des préceptes allant à l'encontre de cet objectif. Voulait-il enseigner aux princes à gouverner avec succès ou voulait-il assurer au peuple un régime qui le protège du barbarisme de l'époque? Bien malin qui pourrait répondre à cette question.

L'œuvre de Sinclair Dumontais s'inscrit dans cette veine des sciences politico-économiques amorcées par son maître florentin. Le sujet, transposé à notre époque, revêt les couleurs des préoccupations d'un chef d'entreprise, en l'occurrence un fabricant de chaussures, soucieux de conserver son leadership dans un monde très concurrentiel et non moins barbare que tous les petits duchés qui se livraient des luttes féroces pour vivre de la sueur de leurs commettants. À l'aube du XX1e siècle, les entreprises se doivent d'ajuster leur tir afin de protéger leurs acquis. Après avoir assuré leur rentabilité en réduisant la classe moyenne et en congédiant le plus d'employés possible au profit de la robotisation, elles ont créé une société qui diffère essentiellement de la génération des baby-boomers. Les rejetons n'auront pas les moyens de leurs parents. Par conséquent, la nouvelle donne va les obliger à réorienter tout le marketing qui drainait l'eau au moulin. Pour y parvenir, le fabricant de chaussures recourt donc à un expert, dont les judicieux conseils, espère-t-il, lui serviront pour maintenir son entreprise à flot.

Retiré dans une île grecque, ce spécialiste québécois de la consommation va donc conseiller aux cadres d'une fabrique de souliers la manière de s'offrir un parachute pour se protéger des soubresauts du marché au XX1e siècle. Rien de plus simple : il faut fabriquer des produits jetables vendus à des prix dérisoires. En somme, il leur présente la stratégie des Dollarama : vendre des produits bon marché à une jeune génération désargentée, qui croira combattre l'esprit mercantile de leurs parents en se procurant des objets de consommation à bas prix. C'est ainsi, estime-t-il, que l'entreprise pourra récupérer le désir de l'avoir en sa faveur. L'auteur exploite à fond ce filon, l'étayant d'une analyse de notre société où la jeunesse " ne trouve ni sa place ni son identité sociale ", comme l'avait déjà écrit Pierre Vallières dans Un Québec impossible. Un peu à la manière de Lénine qui s'est servi du marxisme pour servir ses ambitions politiques, Sinclair Dumontais prône un existentialisme au profit du pouvoir économique. Mais il faut comprendre que sa démonstration est une mise en garde contre les illusions entourant l'arrivée du troisième millénaire.

Il est difficile de classer cette oeuvre. Est-ce un roman ou un traité politico-économique? La trame narrative brille par son absence. C'est le long discours, cousu d'adverbes, d'un homme qui s'exprime avec élégance et clarté en manipulant les clichés afférents à ce thème. Sa verve souvent arrogante et son humour méprisant peuvent indisposer le lecteur sans compter l'hybridité littéraire de l'œuvre.