Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Mihali, Felicia.

Le Pays du fromage. Éd. XYZ, 2002, 217 p.

La Femme roumaine

Felicia Mihali est une Roumaine qui est venue s'installer à Montréal en l'an 2000. Nous avons hérité d'un écrivain qui a fait mouche dès sa première tentative. Le Pays du fromage nous transporte dans son pays d'origine où elle était critique littéraire.

L'intrigue est construite autour d'une trentenaire qui a quitté son mari après avoir été trompée. Elle s'est donc réfugiée dans son village natal, sis dans un coin isolé et désolé. Vaut mieux mourir que d'y rester. Pourtant la jeune femme, qui déteste le fromage de son pays, s'installe avec son fils dans la maison délabrée de ses parents, morts récemment. Il n'y pas pire choix pour entretenir l'état dépressif généré par une rupture. L'héroïne croit qu'elle tiendra le coup à cause de l'appui que sa parenté et ses amis d'enfance lui offriront. Retrouver un passé heureux favorisera, à son avis, des lendemains remplis de bonheur. Son retour au pays des ancêtres entraîne plutôt sa déchéance parce qu'elle réalise, en remontant sa filiation, que la vie rêvée n'est pas à sa portée. Son exil l'amène à conclure que la femme est une esclave, une esclave parfois dorée comme la fille du roi Priam à qui elle se compare. Finalement, la conscience de sa condition irrévocable la propulse dans l'abysse où elle se laisse détruire. Felicia Mihali, comme Nelly Arcan dans Folle, ne pactise pas avec la rectitude pour décrire un état psychologique qui frise la folie. Elle met en exergue l'intimité répugnante de son héroïne, qui horrifiera les cœurs incapables d'assister à la descente aux enfers des déjantés.

La plus grande qualité de l'œuvre provient du tissage serré du passé et du présent. L'auteure évite l'ennui de la linéarité en fondant toute la vie de son héroïne dans un seul moule, d'où surgit un ensemble labyrinthique. Il n'est pas facile de la suivre dans les dédales d'un passé qui s'incarne dans un pays déchiré après la chute du rideau de fer. Mais c'est surtout l'écriture qui alourdit la lecture. L'articulation des phrases manque de souplesse. On sent que l'auteure ne maîtrise pas encore toutes les subtilités de la langue française. Il reste qu'elle nous sensibilise à la difficulté des femmes qui veulent s'émanciper. La déchéance en moins, l'héroïne rappelle l'Élisabeth de Kamouraska, qui a sauvé sa peau en mariant un homme qu'elle n'aimait pas.