Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Beauchemin, Jean-François

Le Petit Pont de la Louve. Éd. Québec Amérique, 2002, 113 p.

La Fillette aux oreilles décollées

Beaucoup d'écrivains impliquent des enfants dans leurs romans. Ça devient agaçant quand les jeunes héros ont des raisonnements aussi articulés que ceux des philosophes. Jean Piaget, qui a bien analysé le jugement et le raisonnement chez l'enfant, montre que ce dernier se sert de mécanismes afférents à son groupe d'âge.

Jean-François Beauchemin est un auteur montréalais qui s'est attaché particulièrement au monde de l'enfance. Dans ses œuvres précédentes composant une trilogie, il a évoqué le destin d'orphelins en quête de famille. Dans son dernier roman, il évoque les angoisses d'une fillette, provoquées par ses grandes oreilles décollées. Cette enfant de six ans refuse sa différence. Les poils de carotte, les lunettes épaisses comme des fonds de bouteille, les dents de castor, les éphélides, les angiomes sont autant d'éléments qui empoisonnent leur existence. Et à cet âge, correspondre à la norme est primordial pour l'estime de soi. Cette expression galvaudée rappelle tout de même la nécessité d'éviter les causes des attitudes destructrices.

Mathilde, la petite héroïne, ressemble à ses pairs affligés d'un handicap de ce genre. Que peuvent faire les parents pour consoler leur enfant de cette anomalie? Il ne faut pas répondre comme ce chroniqueur qui n'a rien compris au message : " Ils n'ont qu'à lui faire subir une chirurgie esthétique. " La distinction auriculaire n'est qu'un prétexte pour aborder la dynamique de la différence chez les enfants. Il joue à plein chez Mathilde. Ses tentatives de suicide, sa haine pour les gens au physique particulier, notamment les vieux, sont autant de réactions qui découlent de la perception négative qu'elle a d'elle-même.

Pour soulager cette souffrance morale, ses parents lui offrent de lui procurer un animal de compagnie. On pourrait s'attendre à l'achat d'un petit chat, voire un petit chiot. Mais non, Mathilde choisit une vipère. C'est au comble du désespoir parental que la bête vient trôner dans un vivarium au cœur du salon. À cause de cet animal rampant, la fillette comprendra quelque chose aux mystères de la vie. Un petit copain peu avantagé par la nature - qui se ressemble s'assemble - lui fera réaliser que son serpent est atteint de la même maladie que sa propriétaire du fait qu'il est emprisonné dans une cage de verre. La mort est préférable à une vie sans liberté. À partir de ce moment-là, la leçon miraculeuse portera ses fruits. Dommage que l'auteur ait ajouté deux pages à son dénouement !

Ce roman structuré de façon peu orthodoxe est un patchwork de courts textes, qui donne l'impression d'une œuvre inachevée. En somme, c'est une longue nouvelle dans laquelle sont bien agencés l'élément déclencheur, les réactions qu'il engendre et le dénouement inattendu, qui découle de soi malgré tout. Le plus agaçant, c'est le caractère de la fillette, présenté à la manière excessive d'Amélie Nothomb. Nonobstant cet excès, le roman illustre bien l'enjeu dont les enfants paient les frais quand ils ne portent pas le sceau de la copie conforme aux modèles que l'on vénère dans la société.
Cette histoire, bien écrite et parfois drôle, s'approche de l'univers de Le Clézio quand il fouille à l'intérieur de la bulle enfantine.