Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Leclair, Dany.

Le Saint-Christophe. Québec Amérique, 2012, 328 p.

Avoir 20 ans

Ah, que l'on se sent vraiment adulte à vingt ans ! On croit posséder la vérité. Et ceux qui ne partagent pas la vision erronée que l'on se fait de la vie à cet âge sont des ringards. À eux le monde ! Ils sont les sauveurs de la planète. La nouvelle génération promet bonheur et prospérité. Sa philosophie étriquée ressemble aux vœux exprimés sur une carte du Nouvel An.

Le Saint-Christophe cible la vingtaine avec une exactitude et une clarté exemplaires pour mettre en garde ceux qui prendraient des vessies pour des lanternes. Avant d'être un véritable adulte, il faut s'initier à certains impératifs incontournables. S'il faut cent ans à un érable pour être un bel arbre, pourquoi voudrait-on tout, tout de suite ? " Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ", disait La Fontaine. Les jeunes du Printemps érable auraient dû lire ses fables avant d'entreprendre leur lutte contre les frais de scolarité.

L'auteur illustre toute l'impatience de cette jeunesse, qui a hâte de piloter la vie à sa guise. Pour se libérer des soi-disant carcans régionaux, en l'occurrence le Lac-Saint-Jean, on s'emmène à Montréal pour y poursuivre des études universitaires dans des conditions si précaires que l'on risque de ne pas atteindre ses objectifs. On vit le plus possible en ghetto dans un édifice du centre-ville, le Saint-Christophe en ce qui concerne le roman. On s'entasse dans un appartement miteux qui, on l'espère, deviendra le théâtre de son épanouissement. Épanouissement découlant de substances illicites, de beuveries, de bouffe malsaine, de perte de sa josephté si ce n'est pas fait, d'emploi mal rémunéré pour régler les frais de scolarité et d'études si le temps le permet. On est tellement occupés à festoyer que les exigences de la scolarisation peuvent attendre. En somme, faute d'encadrement, on se laisse séduire par tous les dangers d'une grande ville. La population paiera pour cette insouciance, coûteuse en reprises de cours et en changements d'orientation.

Même si le lecteur a le goût de donner une baffe à tous ces jeunes, il n'en demeure pas moins qu'ils sont attachants. On les excuse bien volontiers. C'est le cas du héros, Christian Gingras. Pour envenimer sa vie, il a eu la malencontreuse idée de se marier pour satisfaire son besoin inextinguible de sexe avec une copine, qui assouvit ses propres désirs avec tous et chacun, même une fois mariée. Dans de telles eaux, une union est facilement soluble.

Le roman fait ressortir particulièrement la personnalité de Christian, un homme veule à qui tous les malheurs arrivent. Il se débat pour se maintenir la tête hors de sa mare au diable. Heureusement, il ne tente pas de se faire passer pour un écorché vif comme c'est souvent le cas dans ce genre d'œuvres. Il connaît assez son confiteor pour crier haut et fort mea culpa. Il ne correspond pas à l'image qu'il projette. Il a peur de ce qu'il est devenu : un profiteur égoïste même si sous la couenne bat un cœur sensible attiré par la littérature.

Il fallait du courage pour écrire avec autant de franchise sur la vie que mène les étudiants. L'auteur a évité le discours du prédicateur. Il s'est contenté de peaufiner un portrait plutôt juste d'une jeunesse en quête de sa voie. Tous, des étudiants fragiles qui, tout en paraissant sûrs d'eux-mêmes, craignent pour leur avenir. Peu d'auteurs ont osé pointer le manque de maturité ou de vécu pour affronter ce moment déterminant de la vingtaine.

Bien ficelé, le roman raconte une histoire aux nombreux rebondissements pour relancer l'action. Il y en a même trop. Avec aisance, les péripéties se suivent dans un ordre linéaire. Elles sont rapportées avec une plume classique et coulante quoique le premier tiers du roman s'emberlificote de phrases aux nombreuses propositions subordonnées. Bref, c'est une œuvre éclairante qui cible le plus vaste public possible.