Paul-André Proulx


Littérature Québecoises

Villeneuve, Marie-Paule.


Les Demoiselles aux allumettes
. Éd. VLB, 2005, 419 p.

La Syndicalisation pour les femmes des années 20

Le roman de Marie-Paule Villeneuve raconte une histoire d'amour qui rappelle Les Oiseaux se cachent pour mourir de Colleen McCullough et précise les conditions de travail prévalant dans les usines, à l'instar de Claude Fournier dans Les Tisserands du pouvoir. Avec Les Demoiselles aux allumettes, nous sommes emmenés à Hull, où la Eddy Match fournit de l'emploi à de jeunes femmes pour empaqueter des allumettes.

De 1915 à 1926, Victoria y travaille. Issue d'un milieu pauvre, elle se doit, dès l'âge de 14 ans, de contribuer au bien-être de sa famille, d'autant plus que son frère est parti combattre outre-mer. Et comme la fin de la guerre est suivie par un krach, la jeune femme continue de travailler pour le fabricant américain, qui n'est nullement préoccupé par la santé de ses employées, mise à rude épreuve à cause du phosphore, un élément toxique entrant dans la composition des allumettes. La mère de l'héroïne a d'ailleurs contracté une nécrose, qui l'emporta prématurément après avoir travaillé à la Eddy Match. À sa mort, tout le fardeau familial repose sur les frêles épaules de Victoria, qui, pour son plus grand malheur, s'amourache d'un prêtre, envoyé peu de temps plus tard dans une paroisse de Lowell au Massachusetts. À son invitation, elle le suit aux États-Unis, où elle devient enceinte de cet homme irresponsable. De retour au Canada, Victoria se console de sa mauvaise expérience en participant activement à la création d'un syndicat, ancêtre de la CSN.

Cette trame historique met en branle le mécanisme d'asservissement de la femme, utilisé par les industries et par le clergé. On s'en sert comme ouvrière dans une optique de rentabilité sans se soucier de lui offrir des conditions qui protègent sa santé. D'autre part, l'Église l'exploite en lui faisant défendre sa doctrine sociale pour préserver son prestige aux yeux des " tisserands du pouvoir " économique. Comme compensation, le clergé paternaliste négocie bien timidement en son nom de meilleures conditions de travail. Ce roman fait ressortir tous les balbutiements de l'émancipation féminine par la syndicalisation. C'est intéressant d'autant plus que le séjour de Victoria aux États-Unis permet un parallèle avec les filatures américaines qui ne sont guère plus reluisantes.

Comme Andrée Dandurand dans Les Carnets de David Thomas, Marie-Paule Villeneuve s'attaque au monde du travail, vu à travers l'exploitation de la main-d'œuvre féminine au cours des années soi-disant folles. Cette histoire syndicale s'inscrit dans la foulée d'une histoire d'amour susceptible de déjanter toute jeune femme. Mais grâce à son entêtement, Victoria réussit à s'affirmer au-delà des contraintes de l'époque. Bref, c'est une fresque sociale à la Zola, mais qui n'a pas l'ampleur de celles du maître, surtout à cause de l'écriture un brin estudiantine.