Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Gervais, Bertrand.

Les Failles de l'Amérique. Éd. XYZ, 2006, 445 p.

Le Profil d'un tueur en série

Les auteurs québécois ont souvent des prémonitions qui nous laissent savoir ce qui se concocte dans les officines de la mort. Camille Bouchard annonçait dans Des larmes mêlées de cendres la destruction du World Trade Center; Jacques Bissonnette prédisait dans Badal la présence des terroristes islamiques au Canada, et Bertrand Gervais décrivait, dans Les Failles de l'Amérique, la personnalité des tireurs fous et des tueurs en série. Quelques mois après la publication de son roman, un jeune de 25 ans s'en prenait aux étudiants du collège Dawson de Montréal. Pourquoi s'est-on demandé aux lendemains de l'événement? La réponse a été fournie de long en large par un auteur qui enseigne justement dans une institution devenue la mire des désaxés et des intégristes.

Étudiant à l'université de Californie, son protagoniste est un Québécois, présenté sous un angle qui illustre la formation de son déséquilibre. Comme l'existence ne lui sourit pas s'en suit une souffrance qu'il veut faire taire en châtiant malheureusement des innocents. Le désir de réussir et la peur de ne pas y arriver engendrent un syndrome négatif qui détruit sa personnalité au point de devenir une masse amorphe incapable de résister aux forces du mal. La vie ne vaut donc pas la peine d'être vécue. L'aphorisme s'appliquant à tous, la mort apparaît la solution idéale pour les libérer de leurs chaînes.

Ce roman d'une très grande richesse montre les produits dérivés indésirables que notre société engendre en se développant sans harmonie avec la nature humaine, comme le déclarait Le Corbusier lors de son voyage aux États-Unis. Prisonniers des labyrinthes créés par des gratte-ciel qui abusent de l'étalement céleste, on se comporte comme des rats névrosés qui n'arrivent plus à reconnaître leur chemin. Les failles de l'Amérique coupent les issues à une humanité qui ne vit pas seulement de nourriture terrestre comme disait André Gide. Pour dénoncer les dérives de l'Amérique, Bertrand Gervais se sert avec complaisance de nombreux exemples scabreux qui font ressortir toute l'horreur dans laquelle est plongée la société aussi bien états-unienne que québécoise. Son œuvre prend la forme d'un journal qui consigne les préoccupations philosophiques de son héros. Pour la rendre accessible, l'auteur lui confère des allures de polar, malmené malheureusement par une syntaxe boiteuse qui alourdit l'écriture.