Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Roy, Bruno.

Les Heures sauvages. Éd. XYZ, 2001, 178 p.

Un orphelin de Duplessis

Les orphelins du Québec confiés aux bons soins des communautés religieuses ont fait couler beaucoup d'encre depuis la publication des Enfants de Duplessis de Pauline Gill en 1991. Souvent considérés comme des aliénés mentaux, ils ont été relégués dans des asiles, où la vie se résumait à se bercer à grands coups d'ennui quand ils n'étaient pas abusés sexuellement. Bruno Roy, lui-même victime du système subventionné par le gouvernement dirigé par Duplessis, a dénoncé la situation avec deux romans, Les Calepins de Julien et Les Heures sauvages.

Cette dernière œuvre s'attache à Vincent Godbout, un ado de 16 ans, qui a décidé de fuir l'asile Saint-Jean-de-Dieu pour se libérer de sa condition de détenu psychiatrique. Conduit dans cet établissement après la mort de ses parents adoptifs dans un accident d'avion, le jeune héros a vécu un régime de violence qui a exacerbé son instinct de colère. C'est dans un tel état qu'il s'est retrouvé en 1961 au centre-ville de Montréal, où il n'avait pas imaginé se buter au même esprit qui prévalait à l'intérieur des murs de l'asile. Il faut dire qu'il a voulu " délier son âme dans la rue la plus noire qu'il pût trouver ". Il s'est senti impuissant devant son destin, marqué du sceau de la violence qui distingue nos sociétés modernes, d'autant plus que l'établissement qui l'avait pris en charge l'avait condamné à l'analphabétisme.

En se libérant du carcan institutionnel, Vincent voulait trouver un sens à sa vie. Ce n'est pas facile quand, sur son chemin, on ne rencontre qu'un " homme gris " qui ne connaît que le sentier de la mort. Ce clochard désespéré, amoureux de la poésie, lui révélera plutôt toute la misère morale et la pauvreté qui caractérisent notre destin en lui citant des vers de Rilke :

L'ordre règne en tyran
Et use toute leur force
Et nous finissons comme des filles au ventre déchiré
Qui meurent en enfantant.

C'est l'univers Des deux orphelines de Jean Narrache ou Le Mendiant des rues du soldat Lebrun qu'évoque ce vieillard désespéré pour qui la vie n'a pas de sens. Cette rencontre énigmatique ne fut pas assez déterminante pour que Vincent s'engage dans les pas qui mènent au fleuve, tombeau de nombreuses déveines. Il veut savourer la vie. C'est Madeleine qui l'aidera à atteindre son objectif. Cette serveuse du restaurant Select lui enseignera que, malgré la vilenie du monde, on peut trouver la satisfaction de vivre en cherchant le sentier de l'amour, promesse de toute rédemption. En soudant leurs blessures, les deux espèrent se libérer des heures sauvages, responsables de leurs dérives.

L'auteur a construit son roman à la manière d'un calendrier liturgique, lequel culmine vers la résurrection. Il nous fait vivre le calvaire d'un orphelin qui traverse les ténèbres pour entendre L'Hymne à la joie de Beethoven dans les bras salvateurs de l'âme sœur. Il ne s'agit pas de la foi en Dieu d'un héros comme l'a fait Yann Martel avec L'Histoire de Pi, mais de la foi de celui qui a fait le pari de la vie. C'est un beau roman si l'on n'est pas allergiques aux réflexions issues des problèmes d'ordre plutôt métaphysique. Mais le roman s'incarne tout de même dans le milieu distinctif du Red Light de Montréal, tel que nous l'a décrit Georges-Hébert Germain dans Monica la mitraille. La petite histoire, la philosophie de la vie et les émotions s'entremêlent à travers une écriture des plus poétique. Bruno Roy coordonne plutôt sommairement l'agir, mais les sentiments sont rendus avec aisance.