Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Claer, José.

Les Nymphéas s'endorment à cinq heures. Éd. Vent d'Ouest, 2004, 170 p.

Une adolescence parisienne sous l'Occupation

L'horticulture est une science qui ravit l'œil. Monet en a donné une illustration avec ses toiles. Magnifique! Avec les mots, on peut rivaliser avec l'art floral. José Claer a tenté cette expérience en nous offrant deux romans ravissants comme des bouquets. L'auteur est un parnassien de l'art romanesque. Il séduit par une écriture riche en couleurs qui convertit son œuvre en des floralies du mot. C'est beau à la condition d'aimer le travail qui résulte d'un bel agencement. Ceux qui préfèrent la mauve qui pousse à l'état naturel dans les champs ou la trille qui tapisse les sous-bois au mois de mai n'apprécieront pas nécessairement cette savante composition qui sent l'esbroufe. L'auteur a réalisé un projet littéraire audacieux qui en lassera plus d'un à cause de son écriture somptuaire. Les Nymphéas s'endorment à cinq heures, son dernier roman, compose une gerbe si étudiée que l'on se demande si ce ne sont pas des fleurs artificielles.

Cette œuvre n'a de québécoise que son auteur, Josué Jude Carrier, né à Mont-Laurier en 1963. Son héroïne est une adolescente de quatorze ans, qui, au cours de l'été de 1944, connaît une accélération de son apprentissage de la vie sous une occupation qui s'érode. Elle habite la maison familiale, baptisée Les Nymphéas, sise dans le Hameau-La-Fontaine, près de Paris. Entourée de sa mère, de ses cinq sœurs et de ses deux cousins, Maude Beaury observe la vie avec un œil curieux qui allume son imagination, fertile d'ailleurs. Devant le monde des adultes qui se dresse devant elle dans toute sa beauté et toute sa laideur, elle rêve de l'impossible désir d'avoir quatorze ans à tout jamais comme le nain du Tambour de Günter Grass. Suspendre le temps pour apprécier le sentiment exquis d'emmagasiner des expériences qui lui font découvrir la vie dans toutes ses ramifications, en particulier l'amour qui ajoute " un accent aigu à la beauté ".

Oeuvre sensuelle qui s'épanouit au milieu d'un jardin de fleurs et d'épines aussi. L'âme de Maude " s'ecchymose " au contact des prédateurs de liberté. L'absence de son père et de son frère retenus par la guerre, les soldats pendus aux lampadaires créent une atmosphère qui la détourne du temps : " Quand je serai assez vieille pour être une grande personne, je choisirai de ne pas en être une! " La guerre conjugue avoir et être : avoir plus et être plus fort. Une belligérance qui n'apporte rien aux femmes. Comme dit la mère : " Nous, on a moins et on est moins. "
Ce roman initiatique projette une adolescente, revolver au poing, vers son destin d'adulte. La guerre récupère son innocence pour lui révéler un monde d'acier, un monde d'une froide criminalité. Pour Maude, son jardin de roses n'a duré que ce que durent les roses. Finalement, José Claer n'a pas présenté une adolescence à l'eau de rose. Derrière le jardin fleuri, c'est le sang qui marque la vie au féminin.