Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Bouchard, Louise-Anne

Les Sans-soleil. Éd. L'Âge d'homme, 1999, 95 p.

L'Intolérance des petites communautés
Louise-Anne Bouchard, née à Montréal, habite Lucerne en Suisse. Son nouveau milieu lui a certes inspiré ce court roman, dont le cadre helvétique entoure Lannaz, un village situé à flanc de montagne. Ce hameau n'est pas sans rappeler ceux du Québec imprégnés d'odeurs de purin qui donnent la nausée aux baladeurs du dimanche qui sillonnent la campagne.

Qualifiés de sans-soleil à cause de la situation de leurs habitats dans la montagne, les Lannaziens sont des reflets de leur environnement marqué par ces relents nauséabonds. Ils y mènent une existence instinctive, brutale, voire tyrannique à cause de la promiscuité qui soumet la population aux aléas de l'opinion publique. Au milieu de ces bons travailleurs protestants vit un mathématicien qui sent le besoin de se marier pour répondre aux normes tacites de ses pairs. Quant à satisfaire cet impératif, mieux vaut réaliser son rêve de marier une femme du soleil qu'il déniche tout près de Toulon, sur la plage des Mourillons. Il tombe amoureux en toute réciprocité de la femme idéale : sensuelle, élégante, cultivée. Voilà le mathématicien au bras de Nina, une Française qu'il emmène dans son bled.

Les habitants retiennent leurs réactions xénophobes par respect pour le seul homme instruit du village. L'accueil mi-figue mi-raisin dont elle fut l'objet dégénère bientôt en conflit ouvert quand le nouveau mari réalise le fossé qui le sépare de sa femme. La logique des mâles du village ne s'adapte pas aux " décoctions " de l'âme dont Nina est très friande. Ses critiques de la communauté à l'art d'énerver le mathématicien, peu enclin aux analyses qui ne découlent pas de la cohérence du calcul. Sur le conseil d'un ami d'enfance dévoyé, il décide de la dompter en l'attaquant dans sa sexualité. Ce sera pour son plus grand malheur, car son comportement méprisant l'oblige à consulter un psy pour retrouver son équilibre.

Ce roman écrit à la première personne révèle donc sa confession, qui emprunte le ton de l'humour, de l'ironie et, finalement, du rire jaune. Avec habileté, l'auteur pointe toute l'horreur dont les esprits obtus sont capables. Cette excellente œuvre souligne, comme Les Noces villageoises de Nicole Fillion, la prétendue sérénité des petites agglomérations, en plus de distinguer ce qui oppose les hommes aux femmes. Il est malheureux cependant que l'éditeur n'ait pas eu l'instinct professionnel de réviser son travail de typographie.