Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Frisson, Sophie.

Le Vieux Fantôme qui dansait sous la lune. Éd. XYZ, 2005, 141 p.

Devenir écrivain

Quelle formation doit se donner celui ou celle qui aspire à devenir écrivain? Fréquenter l'université n'apparaît pas comme une solution au dilemme. Sous un pseudonyme, l'auteure l'affirme en toute impunité : "Quand je montrais mon diplôme, on m'envoyait au diable. J'ai montré mon cul et on m'a envoyée au Mexique." L'héroïne, l'alter ego de l'auteure de 21 ans, a reçu dix mille dollars pour avoir posé nue. Elle se sert de cette somme pour se rendre dans une station balnéaire mexicaine, où elle espère écrire le chef-d'œuvre du siècle. C'est avec beaucoup d'originalité et de liberté que Sophie Frisson aborde le thème de la création littéraire.

Dans Le Vieux Fantôme qui dansait sous la lune, la romancière en herbe se cherche désespérément un sujet. " En attendant Godot ", elle profite de son corps, une " œuvre de chair " que les mâles sur la plage veulent admirer de plus près. Même si l'héroïne s'est affranchie des tabous de la société occidentale, elle reste quand même une femme en quête d'elle-même. Avec la désinvolture des jeunes, elle cherche à s'inscrire dans le monde adulte en questionnant d'abord la condition féminine. Elle refuse de perpétuer le règne de sa " conne " de mère, femme de diplomate réduite à une vie de mimétisme au service de la rectitude. Son questionnement débouche sur un plan vertical. Toute la mythologie mexicaine se met à son service pour lui tracer la voie de la transcendance.

Dans sa quête personnelle et littéraire, c'est un vieux Canadien, échoué sur l'une des côtes de ce pays, qui contribue le mieux à la réalisation des objectifs qu'elle s'est fixés. L'héroïne éprouve d'abord du dégoût pour cet homoncule dans un fauteuil roulant poussé par une soi-disant religieuse. Petit à petit, il devient son maître à penser au point qu'elle craint de devenir dépendante d'un être décrépi qui veut voir sa " chucha " pour se rappeler les paysages canadiens. Ce personnage excentrique, qui loge dans un bordel, est un militaire de carrière, auteur de trois cent trois romans inconnus. Leurs relations ouvriront les horizons de la jeune écrivaine, qui n'a pas encore accouché d'" une maudite ligne ".

Ce roman prend la forme d'un journal, exempt de la banalité quotidienne. C'est le balbutiement d'une femme angoissée, en quête d'une voie originale pour exprimer sa personnalité. Cette analyse de l'origine de la création montre en fait une romancière qui est en train d'écrire la biographie d'un vieil homme exilé au Mexique. Elle en fait un personnage fantomatique, une muse masculine, le dieu de l'inspiration. Ça donne une œuvre décousue, parfois crue, désinvolte comme la jeunesse, d'un humour parfois raté, mais d'une richesse surprenante pour un auteur de 21 ans qui, par surcroît, manie la plume avec naturel.