Paul-André Proulx

Littérature Québécoise

Dompierre, Stéphane.

Mal élevé. Éd. Québec Amérique, 2007, 197 p.

Nelly Arcan au masculin

Les personnages trentenaires de Dompierre seraient typiques du Plateau-Mont-Royal. Mais ce sont les mêmes que l'on retrouve partout au Québec. Ils traînent leurs désillusions sur la terrasse des bars, que ce soit à Sorel face au parc du centre-ville ou à la Marina de Repentigny. Alex, le héros intransigeant de ce roman, refuse de trafiquer son idéal de compositeur underground au nom de la sacro-sainte rentabilité de l'industrie du disque. Il souhaite concrétiser ses rêves au sein des Mal Élevés, un groupe dont il s'éprend de la chanteuse.

Les questions de cœur ne l'inquiètent pas beaucoup. C'est la promptitude de ses érections qui lui tient lieu de raisonnement. Pour parodier Pascal, il peut s'exclamer : " Je bande, donc j'aime. " Le voilà illico en couple avec une femme qu'il ne connaît ni d'Adam ni d'Ève. Sexe et musique forment le duo de ses préoccupations. Ses œillères lui cachent les abords dangereux du chemin qu'il suit. Produit d'une éducation carencée, ce " mal élevé " a développé une résilience à tout épreuve pour devenir guitariste au grand dam de sa mère, qui a fui à Boston avec son amant, et de son père, qui aurait voulu en faire un paysagiste comme lui. Son caractère de battant origine de ce contexte familial, mais, au fil des années, Alex devient son propre ennemi. Parviendra-t-il toujours à ses fins sans accepter les marges du compromis? Devant le dilemme de tout trentenaire qui aime sa solitude en gang, comme dit la publicité de Muslix, il découvre que l'homme du made himself ne peut vivre seul sur son île.

Ce roman trace le portrait de tout trentenaire masculin d'aujourd'hui, acculé à des exigences qui bémolisent même les rêves les moins fous. Il ne faut pas s'attendre à une analyse profonde de leurs sentiments, mais Dompierre indique bien où le bât blesse, comme le fait Nelly Arcan pour les femmes du même groupe d'âge. Avec une écriture dépouillée de l'argot français qui pavait sa première œuvre, il manifeste un don manifeste de conteur. Il sait même nous émouvoir avec l'amont de son héros, fragilisé par le rejet dont il a été l'objet. Mais son portrait frôle tout de même la caricature. Il a succombé au piège de la facilité qu'il déplore chez les artistes qui vendent leur âme à Star Académie, mais il a su protéger Alex de la fatuité qui en aurait fait un être plutôt détestable.