Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Blais François

Nous autres, ça compte pas. Éd. L'Instant même 2007, 178 p.

L'Éloge de la fuite

Ce roman est le reflet de jeunes de vingt ans, tentés de décrocher de nos sociétés avilissantes. Le cynisme leur sert de philosophie pour justifier leur mise au ban volontaire. " Ils ne veulent rien savoir stie ", écrivait Doris Lussier pour résumer leur esprit. Contents de vivre dans la marge des prestations du bien-être pour échapper aux pressions sociales, les héros du roman de François Blais s'isolent dans un chalet pour y mener une vie d'ermite. Au lieu du Sahara où vivait le père de Foucauld, ils ont choisi la Mauricie où ils s'appliquent à renouer avec leur engagement baptismal en renonçant à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, sauf à l'alcool.

Cet idéal fait écho à celui que Réjean Ducharme a livré dans L'Hiver de force et dans Gros Mots. Comme son maître, François Blais invente un couple qui s'isole pour s'abandonner à la fainéantise. Au lieu de regarder la télévision comme André et Nicole dans L'Hiver de force, Mitia (l'homme) et Arsène (la femme) s'adonnent à d'anciens jeux vidéo. Ou encore à lire des Archie pour le héros pendant que l'héroïne transcrit leur vécu à l'ordinateur sous l'œil vigilant de Pascal, une créature chimérique qui joue un rôle critique. La conscience de l'écrivain qui s'autocensure pour qu'aboutisse une œuvre qui se tient. En fait, François Blais évoque tous les talpa, les boucs émissaires qui peuvent peupler l'univers de la solitude. Comme Petite Tare, la belle-sœur de Johnny dans Gros Mots, Arsène tente d'éclairer Mitia, qui cherche une voie pour s'en sortir. Mais les deux héros courent après de purs esprits. En somme, l'amour sans la sexualité, la littérature sans l'œuvre. Rien d'ésotérique qui minerait l'éloge de la fuite pour protéger leur intellectualisation de la vie.

C'est le propre des jeunes de s'imaginer sans les contingences existentielles. L'avènement du royaume avant terme. François Blais jongle avec leur quête d'absolu qu'il camoufle derrière un humour cynique à la François Barcelo. Humour efficace joint à un ludisme narratif qui se partage en discours fantasmatique, intime et romanesque. Une œuvre gigogne d'un auteur qui se choisit comme écrivain dans une œuvre dont le héros élabore la sienne. Les jeunes s'identifieront certes au caractère désinvolte des protagonistes et apprécieront la toile de fond électronique avec laquelle ils sont plus familiers que leurs ancêtres nés à l'ère du gramophone. Hormis son aspect amusant, cette œuvre patauge dans des eaux juvéniles qui sont loin d'être capables d'apaiser la soif du lecteur qui a passé l'âge des entourloupettes littéraires.