Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Arcand, Nelly.

Paradis, clef en main. Éd. Coups de tête, 2009, 216 p.

L’Instinct suicidaire

La dualité entre Isabelle Fortier et Nelly Arcan a-t-elle pris fin avec la mort d’une auteure médiatisée à outrance ? Réjean Ducharme a choisi la retraite fermée pour se débarrasser de son image de vedette littéraire. Dans un cas comme dans l’autre, leur examen de la vie est éclipsé par un voyeurisme agaçant, qui travestit les auteurs en reliques à vénérer dans une châsse comme le cœur du frère André. En fait, Nelly Arcan, pseudonyme d’Isabelle Fortier, a servi de miroir afin que cette dernière se voie à travers les images peu flatteuses que son double faisait miroiter. Images qui l’acculèrent à une introspection fatale.

Son dernier roman dissèque cette duplicité morbide en reproduisant le parcours d’Antoinette Beauchamp, désireuse de porter atteinte à ses jours en recourant à Paradis, clef en main, une entreprise, qui agit comme Big Brother en proposant des activités ludiques pour que leurs clients réussissent leur suicide. Pourquoi vivre quand chaque jour est un pas vers le tombeau ? Les fins dernières sont au cœur d’un propos vrillé aux problèmes relationnels de l’héroïne avec sa mère, une « merde » manipulatrice obsédée par l’apparence. Elle nourrit à l’égard de sa génitrice des sentiments exprimés à travers une finitude qu’évoque le vocabulaire scatologique. Merde et vomissure résultent d’un processus d’élimination, caractéristique des fonctions du corps. Un corps qui n’est plus un objet de désir à modifier pour mieux séduire. C’est plutôt un boulet pénible à traîner, dont il faut se débarrasser sans chercher à lancer de messages. En somme, Antoinette est entrée dans une dynamique de mort qu’a alimentée un oncle, qui est passé à l’acte suicidaire grâce à Paradis, clef en main. Elle lui emboîte le pas quelques années plus tard pour échapper à un mal de vivre apparenté à celui de Holden Caulfield dans L’Attrape-cœurs de Jérôme-David Salinger, Heureusement, le dénouement accorde à son héroïne d’être atteinte par la grâce en croisant le chemin de Damas.

Mal révisée par l’éditeur, cette œuvre psychanalytique, organisée avec des paragraphes et une ponctuation que l’auteure ne maîtrisait pas pour ses romans antérieurs, livre les tripes d’une femme, dont le salut lui a épargné le fatum tragique de sa créatrice, une auteure qui disposait d’un magnifique don de conteuse.