Paul-André Proulx

Littérature Québecoises
Awumey, Edem

Rose deluge. Éd. Boréal, 2011, 216 p.

Fuir le Togo

Edem Awumey, dont le roman précédent était en liste pour l'obtention du prix Goncourt 2009, démontre avec Rose déluge que la vulnérabilité est le lot de l'humanité. Même la nature s'en mêle pour rendre l'existence difficile. Et les Noés ne courent pas les rues pour sauver les humains des intempéries. Katrina a détruit La Nouvelle-Orléans. Y a-t-il une vie après le déluge, tant au propre qu'au figuré ?

C'est sous le signe de l'eau dévastatrice que se déroule le roman. Pays dévastés par les eaux envahissantes de la pluie ou par les eaux qui érodent les terres en marge des mers. C'est le cas du Togo. Rose habite Lomé, la capitale. Elle a toujours voulu quitter sa terre natale pour aller vivre à La Nouvelles-Orléans, où se trouvent ses ancêtres victimes de l'esclavage. Mais la mort l'a pris de court. Elle demande à son neveu Sambo d'enterrer ses cheveux et ses ongles aux États-Unis afin qu'ils ne viennent pas la hanter dans l'au-delà. À chacun ses croyances.

Le jeune homme se retrouve à Hull, ville séparée d'Ottawa par la rivière des Outaouais. Mais comment traversera-t-il la frontière américaine ? Un parent, habitant au Canada, lui prête son passeport pour se rendre au cimetière de La Nouvelle-Orléans afin d'y déposer le précieux coffret qui contient les restes de sa tante. Parviendra-t-il à déjouer les douaniers ?

Ainsi s'amorce le suspense, qui entraîne dans son sillon une fine analyse de l'exil. Pourquoi fuit-on ? Le retour au passé prend sous cet angle toute sa pertinence. Que fait-on à Lomé ? On profite des miettes que les spoliateurs américains et français laissent tomber quand on ne tombe pas dans les rets des prédateurs sexuels. Tous les Togolais mènent une vie de borderline. Pour nouer avec la liberté, le jeune Sambo rôde dans le port pour monter à bord de son arche de Noé.

Son parcours l'amène au Québec, où il fait la connaissance de Louise Hébert sur le quai de la station d'autocars. Rencontre salvatrice qui allume une lumière au bout du tunnel. Autant que Sambo, cette dernière fuit le passé. Un passé entaché dès sa naissance par le viol de sa mère.

Sur cette trame toute simple, l'auteur tisse une toile qui rend compte de toutes les nuances du départ. Rien n'est gratuit. C'est le souffle de la vie qui pousse vers des horizons nouveaux. Un souffle soutenu avec vigueur par un auteur qui manie le lyrisme sans tomber dans un sentimentalisme qui ferait perdre toute crédibilité à son roman. Bref, ça frise le chef-d'œuvre.