Paul-André Proulx

Littérature Québecoises

Desjardins, Hélène.

Suspects. Éd. La Courte Échelle, 1999, 159 p.

Une strip-teaseuse soupçonnée de meurtre

Il n'est pas rare qu'un romancier prête sa plume à une étudiante de l'université qui se prostitue (Nelly Arcan) ou qui fait du strip-tease (Pauline Gélinas). Il faut croire que c'est le passage obligé pour que le sujet trouve ses lettres de noblesse. Hélène Desjardins trace elle aussi le portrait de l'une de ces travailleuses du sexe, qui, contrairement à celles de ses consœurs, n'est pas liée au monde estudiantin. Rita, l'héroïne du roman, trouve son amant Jeff, mort en revenant chez elle. Elle n'en fait pas un plat. " On ne va pas s'éterniser là-dessus ", dira-t-elle.
L'auteure présente une jeune femme en évitant le piège du vernis statutaire qui la rendrait plus intéressante. Pour la comprendre, elle défriche d'abord ses origines familiales. Née d'une mère qui la rejette et d'un père alcoolique qui a abusé d'elle, elle est ainsi programmée pour chercher des yeux admiratifs en se propulsant comme strip-teaseuse sur les petites scènes des bars de Montréal. Roman en flash-back, des narrateurs multiples viennent donner leur version des faits. Le père de Rita reconnaît ses torts, la mère maintient sa ligne de conduite à cause du métier de sa fille. Mais ses ascendants sont-ils suffisants pour en faire une meurtrière?

Aux yeux des deux policiers chargés de l'enquête, Rita demeure le suspect numéro un. Mais quand l'un d'eux ressent de l'empathie pour l'accusée, il abandonne la stratégie prévue pour suivre les pistes qu'elle lui indique au grand dam de son supérieur. Native d'un petit village, elle a fui pour échapper au mépris afférent à sa mauvaise réputation. Le manque d'anonymat de la promiscuité engendre souvent des rivalités qui peuvent déboucher sur la criminalité. C'est de ce côté, précise-t-elle, qu'il faut chercher les suspects capables de se venger d'elle pour avoir réussi à s'attacher Jeff, un amant limité pourtant à la seule satisfaction de sa libido.

L'auteure donne la parole à tous les assassins potentiels pour qu'ils se défendent du meurtre de Jeff. Leurs témoignages apportent une densité à l'héroïne, qui assume les frais d'un passé dont elle n'est pas responsable. Ça donne une structure très complexe au polar, mais elle est érigée avec une dextérité qui ne dévie pas de son objectif : montrer une travailleuse du sexe à qui personne ne voudrait lancer la première pierre. Le message évangélique transposé dans le monde contemporain ! Le dénouement fleur bleue gâte un peu la sauce. Heureusement, l'écriture efficace et incisive vient parer ce bémol.